Certification de l’information sur la durabilité : s’armer contre l’écoblanchiment

17 novembre 2022 | David Madon, Kaylynn Pippo

L’engouement pour les investissements faits en fonction de facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ne se dément pas. En effet, selon Bloomberg Intelligence, la valeur des actifs de cette catégorie devrait connaître une forte augmentation au cours des trois prochaines années, pour passer de 35 à 50 billions de dollars américains.

Et c’est sans compter le marché mondial des instruments d’emprunt durables, qui enregistre une croissance phénoménale. Selon une étude menée par Comptables professionnels agréés du Canada (CPA Canada) et l’International Federation of Accountants (IFAC), les émissions d’obligations vertes, à impact social, durables et liées à la durabilité se sont chiffrées à 1 billion de dollars américains en 2021 – un record – et devraient atteindre 1,35 billion de dollars américains cette année.

Pour ces deux catégories, les investisseurs prennent leurs décisions en matière d’affectation du capital en se fondant sur une information relative à la durabilité dont la publication est, dans bien des cas, facultative. Pour l’heure, les organisations sont libres de choisir leurs indicateurs, de cibler les éléments qui les montrent sous un jour favorable, et donc de se dépeindre comme étant plus « durables » qu’elles ne le sont en réalité, ce qui fait craindre des pratiques d’écoblanchiment.

Selon une étude, plus de 90 % des plus grandes sociétés ouvertes présentent de l’information sur la durabilité, mais seulement 58 % d’entre elles font vérifier cette information, et pas nécessairement par des comptables. Pourtant, ces derniers sont sans doute les mieux placés pour certifier l’information financière. C’est pourquoi de nombreux investisseurs ont recours à des analyses indépendantes d’agences de notation et de fournisseurs de données ESG afin de prendre des décisions d’investissement selon leurs propres critères.

En ce qui a trait aux instruments d’emprunt durables, les investisseurs doivent évaluer les choix d’indicateurs de durabilité des émetteurs et se demander si ces indicateurs permettent de mesurer efficacement la performance d’un instrument. Il leur faut également vérifier si cette information a été certifiée et comment elle l’a été.

Pour lutter contre l’écoblanchiment et s’assurer que les investisseurs puissent prendre des décisions d’investissement éclairées, il est donc essentiel de se doter d’une information sur la durabilité de grande qualité, transparente et vérifiée de manière indépendante. Compte tenu de l’importance du capital en jeu, cette information doit être d’aussi bonne qualité que l’information financière des sociétés.

La durabilité : un état des lieux

L’IFAC a mené, en collaboration avec l’AICPA-CIMA, une étude comparative mondiale, intitulée The State of Play in Sustainability Assurance, de l’information sur la durabilité et des pratiques de certification de 1400 grandes sociétés ouvertes dans 22 pays.

Les résultats de cette étude sont révélateurs. On y constate que la nature des travaux de certification est généralement limitée et que les pratiques et les fournisseurs de services varient d’un pays à l’autre. Il en résulte possiblement un écart entre les attentes des investisseurs et la réalité, ce qui donne à penser que des progrès restent à faire. Voici les faits saillants de l’étude :

  • Plus de 90 % des sociétés présentent de l’information sur la durabilité, mais seulement 58 % d’entre elles la font certifier, et, dans bien des cas, la certification ne porte que sur une partie de l’information publiée. Lorsque ces sociétés font appel à des cabinets de professionnels comptables, ces derniers appliquent, dans 94 % des cas, les normes de l’International Auditing and Assurance Standards Board (IAASB), organisme qui établit les normes mondiales en matière d’audit, de certification et de gestion de la qualité. La majorité des autres fournisseurs de services appliquent des normes distinctes dans le cadre de leurs missions.
  • Il existe deux niveaux d’assurance : limitée et raisonnable. À l’heure actuelle, plus de 80 % des missions de certification de l’information sur la durabilité procurent une assurance limitée. Il s’agit certes d’un niveau valable, mais qui n’égale en rien celui d’un audit des états financiers. Dans le bulletin Alerte certification en durabilité : Expression d’une assurance par des tiers à l’égard de l’information relative à la durabilité, CPA Canada analyse ce thème plus en profondeur.

L’harmonisation des normes se poursuit à l’échelle mondiale

Presque 20 ans après le lancement par les Nations Unies d’une initiative historique, Who Cares Wins, ayant mené à l’apparition du terme « ESG », la nécessité de l’information sur la durabilité n’est plus à démontrer, tant pour les investisseurs que pour les sociétés de toutes tailles, quel que soit le secteur ou le pays. En revanche, déroutés par une profusion de référentiels d’application facultatifs entraînant complexité et confusion, les émetteurs ne savent pas quelle méthode employer pour présenter cette information.

En novembre 2021, l’IFRS Foundation a mis sur pied l’International Sustainability Standards Board (ISSB), qui œuvre de concert avec l’International Accounting Standards Board en vue de la création d’une base de référence mondiale en matière d’information sur la durabilité et de la mise à la disposition des investisseurs d’informations cohérentes et comparables de grande qualité.

Ce nouvel organisme avance rapidement. En mars 2022, il a publié les exposés-sondages de ses deux premières normes : IFRS S1 – Obligations générales en matière d’informations financières liées à la durabilité, qui énonce des obligations générales en vertu desquelles les entités seraient tenues de fournir des informations sur l’ensemble des possibilités et risques importants liés à la durabilité qui se présentent à elles; et IFRS S2 – Informations à fournir en lien avec les changements climatiques, qui énonce les obligations en matière d’identification, d’évaluation et de communication des informations en lien avec les changements climatiques.

Parallèlement, des initiatives d’information propres à certains pays ou territoires voient le jour. Celle de l’Union européenne est la plus aboutie. Au Canada, la création du Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité (CCNID) a été annoncée en juin 2022. Ce dernier devrait entrer en activité en avril 2023. En matière de réglementation, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) et la Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis poursuivent leurs efforts en vue de la formulation de leurs propres propositions visant l’amélioration et l’uniformisation de l’information sur la durabilité. Des représentants des organismes de réglementation nationaux se rencontrent au sein de groupes de travail afin d’aplanir autant que possible les différences.

Une dynamique se dessine en faveur de normes de certification de l’information sur la durabilité d’application obligatoire

L’IAASB travaille à l’élaboration d’une norme distincte d’application générale, qu’il prévoit de publier pour commentaires au deuxième semestre de 2023. S’appuyant sur les normes et les indications existantes de l’IAASB, cette norme portera sur la certification de l’information qui a trait à tous les sujets liés à la durabilité et sur les référentiels d’information.

L’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) a salué les importants travaux de l’IAASB, menés conjointement avec le Conseil des normes internationales de déontologie comptable (IESBA). « Ces normes amélioreront l’uniformité, la comparabilité et la fiabilité des informations sur le développement durable qui sont présentées, rehaussant ainsi la confiance à l’égard de ces informations », s’est réjoui l’OICV.

Les États-Unis et l’Union européenne envisagent déjà d’exiger que les travaux de certification de ce type d’information procurent un niveau d’assurance raisonnable. Si les acteurs des marchés souhaitent traiter l’information sur la durabilité sur un pied d’égalité avec l’information financière, le niveau d’assurance doit être relevé en conséquence.

En conclusion

L’influence des investisseurs a été décisive pour pousser à l’élaboration de normes de haute qualité en matière d’information sur la durabilité. Il faut maintenant se concentrer sur la certification de cette information afin qu’elle parvienne au même niveau de cohérence, de comparabilité et de fiabilité que l’information financière. Nous vous invitons à vous informer sur les initiatives de CPA Canada et de l’IFAC sur les facteurs ESG. N’hésitez pas à participer aux discussions et à donner votre avis, notamment lors des consultations. C’est ainsi que les changements iront dans le bon sens.


Clause de non-responsabilité de l’AIR
Les points de vue et opinions exprimés dans cet article n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue ou la position de l’Association pour l’investissement responsable (AIR). L’AIR n’approuve, ne recommande ni ne garantit aucune des revendications formulées par les auteurs. Cet article est conçu comme une information générale et non comme un conseil en investissement. Nous vous recommandons de consulter un conseiller qualifié ou un professionnel en investissement avant de prendre une décision de placement ou liée à un investissement.

Auteur

author's photo

David Madon

Directeur de la durabilité, des politiques publiques et des affaires réglementaires
IFAC (International Federation of Accountants)

David Madon s’est joint à l’International Federation of Accountants (IFAC) en 2019. Directeur de la durabilité, des politiques publiques et des affaires réglementaires, il est responsable de l’élaboration des politiques et de la coordination des activités de sensibilisation que mène l’IFAC auprès de divers intervenants (organisations sectorielles, organismes de réglementation et autres autorités, investisseurs institutionnels). Ses champs d’expertise comprennent la durabilité et les facteurs ESG; l’information d’entreprise; la qualité et la réforme de l’audit des états financiers; la certification de l’information relative à la durabilité; l’éthique; la protection des investisseurs; la réglementation des marchés des capitaux et les marchés du crédit. David Madon participe à l’élaboration d’un système d’information et de certification mondial en matière de durabilité et de facteurs ESG. Avant de s’engager au sein de l’IFAC, il a représenté l’IFRS Foundation aux États-Unis pendant près de 10 ans : il consolidait les liens avec les investisseurs institutionnels, organisait des collectes de fonds et se consacrait au dossier de l’adoption des normes IFRS par les sociétés américaines cotées en bourse. Titulaire d’une maîtrise en administration publique de la Harvard Kennedy School, d’un MBA spécialisé en finances de la Booth School of Business de l’Université de Chicago et d’un baccalauréat en gestion spécialisé en comptabilité de l’Université Purdue Northwest, David Madon a aussi travaillé pendant 25 ans dans le domaine des services financiers, notamment à titre de directeur général au cabinet Dresdner Kleinwort Wasserstein, avant de se consacrer à l’élaboration de politiques publiques.

author's photo

Kaylynn Pippo

Directrice par Intérim, Audit et Certification, à la division Recherche, Orientation et Soutien
CPA Canada

Kaylynn est directrice par intérim, Audit et certification, à la division Recherche, orientation et soutien de CPA Canada. À ce titre, elle supervise l’élaboration d’indications et d’analyses éclairées sur des questions d’audit et de certification. Mme Pippo collabore étroitement avec des parties prenantes externes, des bénévoles et des experts de domaines divers pour élaborer des indications qui se veulent à la fois pratiques, claires et actuelles. Il s’agit de ressources sur des thèmes nouveaux ou complexes, notamment les normes d’audit et de certification, ainsi que les incidences des nouvelles technologies sur les tâches d’audit et de certification – notamment l’analytique, le traitement des cryptomonnaies et des opérations par chaîne de bloc, ou encore les incidences des nouvelles formes d’information sur la certification. Avant de se joindre à CPA Canada, Kaylynn Pippo était directrice principale en gestion des risques aux Services-conseils de KPMG, plus précisément en services d’audit interne, de contrôle interne et de gestion des risques. Au début de sa carrière commencée chez KPMG, elle s’est spécialisée dans l’audit des états financiers de sociétés ouvertes des secteurs de la fabrication, de la vente au détail et des marchés industriels.