Le vote consultatif sur le climat s’imposera-t-il? C’est aux investisseurs de décider

11 novembre 2021 | Jamie Bonham, Hasina Razafimahefa

Les sociétés (et plus particulièrement les conseils d’administration) se retrouvent largement incitées à améliorer la transparence de leur stratégie d’atténuation du risque climatique et à adapter leurs activités pour un avenir zéro net. L’année 2021 restera dans les mémoires pour le soutien inégalé que les investisseurs ont commencé à donner aux résolutions sur le climat. Au total, 26 résolutions climatiques ont été soumises à un vote cette année et pas moins de 14 ont obtenu le soutien de la majorité.

Les investisseurs peuvent, en outre, aller au-delà de résolutions d’actionnaires sur le climat et s’adresser directement au conseil d’administration sur cette question. Placements NEI dispose par exemple d’une politique de vote contre le président du conseil d’administration dans les sociétés qui ne nous semblent pas gérer adéquatement leur risque d’origine climatique. Nous effectuons alors un suivi avec celles-ci après l’assemblée annuelle, afin d’expliquer nos arguments et d’assurer que notre vote a été utile. C’est toute la difficulté posée par un vote à l’encontre des administrateurs sur la base de préoccupations climatiques, car même si le fait d’éconduire un membre du conseil d’administration figure parmi les décisions les plus significatives qu’un actionnaire peut prendre, le message initial peut se perdre dans la multitude de raisons ayant justifié ce vote.

D’où l’intérêt de la campagne de vote consultatif sur le climat.

Qu’est-ce que le vote consultatif sur le climat?

Il s’agit d’une initiative du Children’s Investment Fund (TCI), de l’organisme As You Sow et de l’ACCR (Australasian Centre for Corporate Responsibility). Les sociétés visées par une proposition « Say-on-Climate » doivent tenir un vote consultatif annuel sur leur projet de transition vers une économie zéro net. Les investisseurs doivent alors se prononcer sur la pertinence de la stratégie de l’entreprise pour réduire ses émissions et se conformer aux objectifs de l’Accord de Paris, en votant pour ou contre celle-ci.

Plusieurs grandes entreprises ont accepté tout de suite de soumettre leur plan d’action climatique au vote en 2021, notamment Unilever, Moody’s et Shell.  Ces propositions soumises par la direction ont reçu un soutien écrasant, de 90 % ou plus.* À l’inverse, les propositions d’actionnaires soumises à des sociétés moins enclines à tenir un vote consultatif sur leur stratégie climatique ont reçu en moyenne un soutien d’à peine 25 %. Les investisseurs semblent réticents à l’idée d’exiger des sociétés l’adoption de cette nouvelle pratique, même s’ils soutiennent totalement les sociétés qui se plient à l’exercice de leur plein gré. Ces résultats ne reflètent pas nécessairement l’émergence de nouvelles tendances, mais pourraient malgré tout préfigurer une augmentation du nombre de sociétés visées par une campagne de vote consultatif sur le climat.

Avantages recherchés du vote consultatif sur le climat – et limites

L’atténuation des risques posés par le changement climatique exige une action imminente. Nous félicitons les entreprises qui n’ont pas hésité à soumettre leur stratégie de transition climatique à l’épreuve d’un suffrage, surtout qu’il s’agit d’une pratique encore récente adoptée par une petite minorité seulement. L’importance de la transparence. Le succès croissant de cette pratique de vote consultatif sur le climat doit s’accompagner d’une promotion de la transparence et pourrait bien forcer les entreprises ayant trainé dans l’explication de leur stratégie à rattraper leur retard.

Toutefois, nous risquons de devoir composer avec des conséquences indirectes. Un vote pour la transparence n’exprime aucune opinion sur la qualité d’une stratégie climatique donnée. Les investisseurs ont-ils la connaissance suffisante pour voter efficacement sur chaque stratégie climatique? Ne risque-t-on pas de dissuader les investisseurs d’impliquer la responsabilité directe du conseil d’administration dans la supervision de la stratégie climatique? Les administrateurs ont-ils plus de responsabilité à établir la stratégie climatique d’une société que les investisseurs n’ont à destituer un conseil d’administration inefficace? La responsabilité de la supervision de la stratégie climatique d’une société échoit-elle réellement à ses investisseurs? Enfin, si une tendance similaire à celle du vote consultatif sur la rémunération des dirigeants se dessine, seules les pires stratégies ne risquent-elles pas de susciter un vote négatif? La nature binaire d’un vote signifie l’absence de nuances dans l’évaluation des stratégies.

C’est aux investisseurs de décider si le vote consultatif sur la stratégie climatique des sociétés doit durer ou non.

Que peut-on faire en tant qu’investisseurs pour que le vote consultatif sur la stratégie thématique des sociétés devienne un outil efficace dans l’atténuation de nos préoccupations à ce sujet? Voici quelques pistes de réflexion qui nous paraissent pertinentes.

  • Fréquence: Est-ce qu’un vote consultatif annuel se justifie vraiment dans un processus de transition qui se déroulera sur plusieurs années, et non plusieurs mois? Une fréquence moins élevée pourrait donner aux investisseurs davantage de temps et de marge de manœuvre pour évaluer efficacement les progrès des sociétés et s’engager auprès d’elles dans les domaines qui suscitent des préoccupations, tout en leur donnant la possibilité d’effectuer des changements significatifs, par essence structurels.
  • Conciliation transparence/contenu : Même si la transparence mérite d’être encouragée, il ne s’agit pas d’un but en soi, contrairement à l’élaboration d’une rigoureuse stratégie climatique. Les investisseurs devront soupeser ces deux éléments dans leur décision de vote.
  • Imputabilité : Les membres du conseil d’administration ou d’un comité placé sous sa supervision doivent-ils automatiquement être destitués lorsque leur stratégie climatique s’avérerait médiocre ou devrait-on prévoir une procédure progressive pour les situations les plus problématiques? Un vote consultatif pourrait ainsi servir à donner aux investisseurs une opportunité de distinguer une stratégie insuffisante d’un manquement en matière de gouvernance, le dernier nécessitant un vote à l’encontre des administrateurs.
  • Engagement auprès des agences en conseil de vote : Ces organismes joueront inévitablement un rôle important dans les décisions de vote si les consultations sur la stratégie climatique des sociétés se généralisaient. De nombreux investisseurs ne disposent pas des ressources nécessaires à l’évaluation de multiples stratégies complexes. Ils devront se fier aux recherches d’une agence en conseil de vote et donc s’assurer que celles-ci ont été menées de façon rigoureuse et transparente.
  • Explication du vote : Un résultat de vote hors contexte peut envoyer un mauvais message aux sociétés. Les investisseurs doivent effectuer un suivi afin d’expliquer leur argumentation, en particulier lorsqu’un vote favorable à une stratégie climatique vise à approuver la direction prise par l’entreprise sans nécessairement valider tous les aspects de cette stratégie.

Comme dans toutes les autres composantes d’une démarche ESG, le diable est dans les détails. Le vote consultatif sur les stratégies climatiques des sociétés ne constitue pas la panacée et doit être considéré avec prudence, mais tant que les investisseurs s’efforcent d’impliquer la responsabilité du conseil d’administration dans l’élaboration d’une stratégie climatique efficace, il s’agit d’un outil très utile assurant que les sociétés se saisissent de la problématique à bras-le-corps.

*Sur la base de l’analyse par NEI des votes exprimés dans 14 sociétés
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Auteur

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Jamie Bonham

Directeur, Engagement auprès des entreprises
NEI Investments

Jamie Bonham, B. Sc., est directeur, Engagement auprès des entreprises, chez Placements NEI. Il dispose de plus de quinze ans d’expérience en recherche et dialogue d’entreprise sur les questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). Il supervise la mise en œuvre de programmes ESG à l’échelle des portefeuilles NEI dans la droite lignée de la thèse selon laquelle les sociétés peuvent atténuer leurs risques et tirer parti d’opportunités d’affaires nouvelles, en intégrant des pratiques ESG au sein de leurs stratégies et activités. Il s’agit notamment d’organiser des dialogues en direct et dans le cadre d’initiatives collectives avec les sociétés et les pouvoirs publics sur des enjeux ESG essentiels.

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Hasina Razafimahefa

Directrice des évaluations ESG et duvote par procuration
NEI Investments

Hasina Razafimahefa est directrice des évaluations ESG et duvote par procuration chez Placements NEI. À l'emploi de la société depuis 2016, elle dispose d'une expérience sur les enjeux de développement durable et de diversité, notamment pour le compte d'institutions financières, ainsi que sur un avenir sobre en carbone. Elle possède des diplômes de premier cycle en comptabilité de l'INSCAE à Madagascar et de deuxième cycle en finance de l'UQTR, ainsi qu’une maîtrise en sciences du développement durable de l'Université de Tokyo.