Quel est le lien entre intégration des critères ESG et devoir fiduciaire ?

22 février 2022 | Melanie Adams

Qu’est-ce qu’un représentant fiduciaire ? Un représentant fiduciaire est une entité à laquelle un pouvoir ou des biens sont confiés pour le compte d’une autre. Le devoir fiduciaire comprend le respect de la confidentialité, l’obligation d’éviter tout conflit et celle de ne pas tirer profit de sa position.

Lors de notre sondage annuel sur les attitudes à l’égard de l’investissement responsable, les investisseurs institutionnels ont cité le devoir fiduciaire comme raison principale de l’intégration des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans leur approche de placement.

Par contre, parmi la minorité de ceux qui n’utilisent pas les principes ESG, beaucoup sont d’avis que cela n’est pas compatible avec l’obligation fiduciaire de maximiser les rendements. C’est aux États-Unis que ce point de vue est le plus courant, suivis du Canada et de l’Asie. La confusion entourant le devoir fiduciaire et l’intégration des critères ESG découle peut-être des récents changements dans le monde des placements et le droit.

Auparavant, les facteurs ESG étaient généralement considérés comme non financiers. Les juristes se sont donc demandé si les représentants fiduciaires devaient les ignorer afin de respecter leurs obligations. Autrement dit, ils ont posé la question : le devoir fiduciaire permet-il de tenir compte des facteurs ESG ? Certains investisseurs institutionnels, qu’ils soient propriétaires d’actifs ou gestionnaires de placements, limitent la portée de leur devoir fiduciaire et estiment que celui-ci exclut la prise en compte des facteurs ESG dans les processus de placement.

Le contexte juridique a commencé à changer en 2005. Cette année-là, l’Initiative financière du Programme des Nations unies pour l’environnement (IF PNUE) a commandé un rapport, surnommé le « rapport Freshfields ». Celui-ci affirmait que les gestionnaires pouvaient tenir compte des facteurs ESG sans enfreindre leur devoir fiduciaire. Après avoir examiné les lois d’un certain nombre de pays parmi les plus développés au monde, les auteurs du rapport ont conclu que l’intégration des paramètres ESG dans l’analyse des placements, dans le but de formuler des prévisions de résultats financiers plus fiables, est clairement autorisée, voire requise, dans tous les territoires.

Ce rapport a confirmé que les facteurs ESG peuvent être pris en compte et a préparé le terrain pour l’évaluation de leur importance relative. Dans son rapport de 2014 sur les devoirs fiduciaires des intermédiaires de placement, la Law Commission du Royaume-Uni a reconnu ces préoccupations et cherché à les dissiper. Elle a indiqué qu’elle souhaitait éliminer les préjugés une fois pour toutes. D’après elle, rien n’empêche les fiduciaires de tenir compte des facteurs environnementaux, sociaux ou de gouvernance lorsqu’ils sont, ou peuvent être, importants sur le plan financier. S’il autorise les représentants fiduciaires à prendre en considération les facteurs ESG, le rapport n’en fait pas une obligation. Ainsi, la Commission précise qu’elle ne croit pas utile de dire que les critères ESG ou les facteurs éthiques doivent toujours être pris en compte.

Le Royaume-Uni n’est pas le seul pays à composer avec ce genre de problèmes. En 2021, Freshfields a publié un rapport intitulé « A Legal Framework for Impact » (un cadre juridique pour l’impact) qui analyse le droit américain. Le rapport conclut que de l’avis général, surtout en ce qui concerne la gestion des caisses de retraite, lorsqu’un facteur environnemental, social ou de gouvernance a des répercussions substantielles sur l’atteinte des objectifs de placement d’un investisseur, celui-ci est tenu de le prendre en compte de façon appropriée dans l’exercice de ses fonctions visant la réalisation de l’objectif financier.

Aux États-Unis, deux règles du ministère du Travail (DOL) de 2020 ont mis en péril la prise en compte des critères ESG en vertu des devoirs fiduciaires exigés par la loi ERISA, une loi régissant l’épargne-retraite en milieu de travail. Les règles, qui portaient sur la prise en compte des facteurs pécuniaires et non pécuniaires dans la sélection des placements, et sur le rôle du vote par procuration dans le devoir fiduciaire, ont été établies vers la fin de l’administration Trump et considérées comme des obstacles à la prise en compte des facteurs ESG dans les décisions d’investissement et de vote. Cependant, sous l’administration Biden en 2021, le ministère du Travail a confirmé qu’il ne poursuivrait pas l’application de ces règles et en a finalement proposé de nouvelles, plus claires, faisant ainsi rapidement marche arrière.

Au Canada, l’Association pour l’investissement responsable (AIR) note : « L’évolution de la responsabilité fiduciaire en ce qui concerne les enjeux ESG a amené le gouvernement de l’Ontario à modifier la réglementation régissant les investissements des fonds de pension en 2016, obligeant les caisses de retraite à inclure dans leurs énoncés des principes et procédures en matière de placement des informations indiquant si et comment les facteurs ESG seront intégrés dans leur processus décisionnel. »

Pour les investisseurs signataires des PRI (Principes pour l’investissement responsable), une initiative de l’ONU qui promeut l’investissement responsable, les obligations fiduciaires de loyauté et de prudence exigent la prise en compte des questions ESG. Le groupe PRI fonde sa position sur trois points : 1) l’intégration des critères ESG est une norme de placement ; 2) les enjeux ESG sont importants sur le plan financier ; et 3) les politiques et les cadres réglementaires exigent de plus en plus l’intégration des critères ESG. Selon le groupe PRI, les investisseurs qui ignorent les enjeux ESG manquent à leur devoir fiduciaire et s’exposent de plus en plus à des poursuites.

Comme on peut le voir, les avis juridiques sur les critères ESG et le devoir fiduciaire évoluent rapidement. Mais les changements ne se limitent pas aux avis juridiques. Ils reflètent ceux que connaît le milieu des placements, où les grands enjeux ESG occupent une place grandissante dans le processus de prise de décisions.

À RBC Gestion mondiale d’actifs, toutes nos équipes des placements intègrent les critères ESG importants à leur approche de placement. Nous croyons pouvoir améliorer le rendement à long terme corrigé du risque de nos portefeuilles en agissant comme un gestionnaire actif, dynamique et responsable, conscient de son devoir fiduciaire.


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Les points de vue et opinions exprimés dans cet article n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue ou la position de l’Association pour l’investissement responsable (AIR). L’AIR n’approuve, ne recommande ni ne garantit aucune des revendications formulées par les auteurs. Cet article est conçu comme une information générale et non comme un conseil en investissement. Nous vous recommandons de consulter un conseiller qualifié ou un professionnel en investissement avant de prendre une décision de placement ou liée à un investissement.

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Melanie Adams

Vice-présidente etchef, Gouvernance et investissement responsable
RBC Global Asset Management

Melanie Adams dirige l’équipe Gouvernance et investissement responsable, RBC Gestion mondiale d’actifs (RBC GMA), et est membre du Comité de direction. L’équipe Gouvernance et investissement responsable aide les équipes des placements de RBC GMA à intégrer les critères environnement, société et gouvernance (ESG) dans le processus de placement ; elle s’investit dans la gérance active et fournit aux clients de l’information utile sur l’investissement responsable. Depuis son entrée en fonction à RBC GMA en 2014, Mme Adams a aussi assumé des rôles liés à la gouvernance et à la stratégie des fonds. Avant d’entrer au service de RBC GMA, Mme Adams atravaillé comme conseillère juridique principale, Contentieux, pour une autre grande institution financière et comme conseillère juridique, Direction de l’application de la loi, à la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, notamment au sein du Bureau du procureur de la Couronne. Mme Adams a obtenu un doctorat en jurisprudence de l’Université de Toronto et un baccalauréat en sciences de l’Université de Waterloo