Pistes pour intégrer la réconciliation et l’investissement responsable

11 novembre 2021 | Dr. Diane-Laure Arjaliès, Julie Bernard, Bhanu Putumbaka

La diversité est devenue un thème central dans le secteur de l’investissement. En 2018, SHARE (Shareholder Association for Research and Education) et NATOA (National Aboriginal Trust Officers Association) ont uni leurs efforts pour créer l’Initiative pour la réconciliation et l’investissement responsable (Reconciliation and Responsible Investment Initiative (RRII)). La RRII a été le fer de lance des efforts visant à intégrer la réconciliation et l’investissement responsable. En 2020, l’Association pour l’investissement responsable (AIR) du Canada a lancé une initiative visant à amener les investisseurs gérant plus de 4 billions de dollars d’actifs à signer une déclaration pour s’engager à promouvoir la diversité et l’inclusion dans leurs organisations et leurs sociétés de portefeuille.

Malgré ces initiatives récentes, peu de politiques d’investissement responsable (IR) canadiennes ou de rapports d’investisseurs institutionnels font référence aux peuples autochtones. Au-delà de la reconnaissance de leurs droits dans le cadre des processus de diligence raisonnable liés au consentement libre, préalable et éclairé (CLPE), leurs bien-être économique, social et environnemental sont relativement absents des conversations dans le secteur canadien de l’IR. [Note de l’éditeur : La récente Déclaration des investisseurs canadiens sur le changement climatique signée par 36 investisseurs gérant 5,5 billions de dollars d’actifs souligne l’importance des droits autochtones pour les investisseurs.]

Face à ce constat, nous avons décidé d’effectuer un examen plus approfondi de la situation au Canada. En tant qu’équipe de recherche de l’Ivey Business School, Western University, nous avons étudié les pratiques de l’industrie de l’IR pendant un an par la combinaison d’entretiens avec diverses parties prenantes, d’observations de conférences professionnelles de l’industrie, ainsi que d’analyses documentaires. Les résultats de cette étude montrent qu’il existe des différences significatives parmi les sociétés de gestion d’investissement canadiennes en matière de sensibilisation et d’action concernant les droits des autochtones et la réconciliation avec ceux-ci.

Ce rapport vise à créer un espace sûr afin d’engager le secteur canadien de l’IR dans un processus de vérité et de réconciliation. Il décrit les relations canadiennes actuelles entre les peuples autochtones et les secteurs de l’IR tout en proposant des recommandations permettant de construire des ponts et progresser vers la réconciliation.

Nous examinons comment l’industrie canadienne de l’IR doit adopter six sous-thèmes que nous avons jugés essentiels au processus de réconciliation économique, à savoir : 1) la reconnaissance des droits des autochtones ; 2) la diversité et l’inclusion des peuples autochtones ; 3) la création d’une économie autochtone prospère par le biais de partenariats ; 4) l’obligation fiduciaire et les peuples autochtones ; 5) la création d’une transition inclusive et juste vers une économie à faible émission de carbone par l’entremise de partenariats ; et 6) la gérance autochtone de l’environnement. Nous analysons systématiquement l’inclusion de chaque thème à chaque étape de la chaîne d’investissement, des propriétaires d’actifs aux gestionnaires d’actifs, en passant par les entreprises bénéficiaires et les prestataires de services.

Les investisseurs responsables évaluent généralement les droits et les préoccupations des autochtones sous l’angle de la gestion des risques. Si celle-ci est un élément essentiel des décisions d’investissement, elle limite les possibilités pour l’industrie de l’IR de contribuer à la réconciliation ou à la création d’opportunités permettant à tous les peuples de réaliser leur potentiel et de bénéficier d’une prospérité partagée. Le rapport recommande plusieurs mesures que les acteurs de la chaîne d’investissement pourraient mettre en œuvre pour progresser sur la voie de la réconciliation. Parmi les actions possibles, on peut citer l’investissement dans des produits d’investissement (d’impact) dirigés par des autochtones, la mise en œuvre de politiques globales sur la représentation des autochtones parmi les employé·e·s et les conseils d’administration, la conception de politiques d’approvisionnement pour les entreprises autochtones ou l’éducation et l’engagement des investisseurs autochtones dans le cadre de vote par procuration qui concerne les droits des autochtones.

Nous pensons que les acteurs économiques doivent s’attaquer aux inégalités sociales et au racisme systémique pour contribuer à une croissance inclusive qui crée des opportunités pour tous. L’inclusion des peuples autochtones dans l’allocation, la distribution et l’évaluation du capital est une étape essentielle vers cette entreprise. En outre, les entreprises inclusives qui gèrent les risques ESG et améliorent les résultats pour les peuples autochtones sont également de meilleurs investissements.

Le rapport est également un exemple des efforts déployés actuellement par les écoles de commerce canadiennes pour répondre à l’Appel à l’action 92 de la Commission de vérité et de réconciliation, qui propose une feuille de route permettant au monde des affaires de réfléchir à la réconciliation et de la pratiquer. Historiquement, les universités canadiennes ont joué un rôle central dans les processus de colonisation. Les peuples autochtones n’ont eu qu’un accès limité aux universités et, encore aujourd’hui, ils sont sous-représentés, manquent de ressources et sont négligés par les chercheurs du système universitaire.

En tant qu’universitaires des écoles de commerce, nous reconnaissons qu’il y a beaucoup de travail à faire et que le chemin de la réconciliation exige un engagement soutenu non seulement envers les actions proposées, mais aussi envers une pratique soutenue de confrontation des lieux au sein des systèmes et secteurs financiers actuels où les voix autochtones sont actuellement absentes. Le rapport ne se contente pas de dresser la carte des lieux et des espaces au sein de l’industrie canadienne de l’investissement responsable où les voix autochtones sont nécessaires, mais il offre également une feuille de route pour que ce secteur et ses partenaires puissent commencer à emprunter la voie du respect de la vérité et de la pratique de la réconciliation.

Le rapport peut être consulté à l’adresse suivante : https://www.ivey.uwo.ca/sustainability/priorities/finance/

Clause de non-responsabilité de l’AIR
Les points de vue et opinions exprimés dans cet article n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue ou la position de l’Association pour l’investissement responsable (AIR). L’AIR n’approuve, ne recommande ni ne garantit aucune des revendications formulées par les auteurs. Cet article est conçu comme une information générale et non comme un conseil en investissement. Nous vous recommandons de consulter un conseiller qualifié ou un professionnel en investissement avant de prendre une décision de placement ou liée à un investissement.

Auteur

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Dr. Diane-Laure Arjaliès

Professeure Associée
Ivey Business School, Western University

Pre Diane-Laure Arjaliès est Professeure Associée à l'Ivey Business School, Western University. Ethnographe, elle cherche à repousser les limites de la connaissance et de la pratique en étudiant comment la fabrication de dispositifs et d'actions collectives peut contribuer à transformer les marchés financiers en faveur du développement durable. En collaboration avec des communautés autochtones, elle travaille actuellement sur la création d’instruments financiers de conservation dont l’objectif est d’apporter plus de capitaux pour la protection des écosystèmes. D'origine française, elle a quitté Paris pour s'installer dans ce qu'on appelle aujourd'hui le Canada en 2015.

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Julie Bernard

Candidate au doctorat
Université Laval

Julie Bernard est candidate au doctorat en management à la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval (FSA Ulaval). Sa thèse porte sur les stratégies d’engagement actionnarial et sur l’intégration des parties prenantes dans la divulgation des performances extra financières. Ses intérêts de recherche portent sur l’investissement responsable et la finance durable. Elle a été récipiendaire de la Bourse Bertram de la Fondation canadienne de recherche sur la gouvernance. Elle a aussi été sélectionnée dans le cadre de la 12e édition de l’Ivey/ARCS PhD Sustainability Academy qui réunit chaque année des doctorants prometteurs et des chercheurs d’expérience menant des recherches novatrices sous le thème du développement durable. Avant ses études doctorales, elle a travaillé pendant plusieurs années dans le domaine de l'investissement responsable chez Groupe investissement responsable (GIR) Inc. Elle s'est impliquée dans ce milieu par le biais de l'Initiative Finance Durable-Finance Sustainability Initiative (IFD-FSI, qui fait maintenant partie de finance Montréal).

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Bhanu Putumbaka

Consultante indépendante

Bhanu Putumbaka est diplômée de la Ivey Business School. Elle a commencé sa carrière sur les marchés de capitaux, en travaillant pour la division de la banque d'investissement de l'un des plus grands groupes bancaires en Inde. Depuis qu'elle a obtenu son diplôme d'Ivey, sa curiosité et sa passion pour la finance durable l'ont amenée à devenir consultante indépendante, collaborant à des projets avec l'Ivey Business School, le Multi-Capital Performance Research Centre de l'Audencia Business School, MaRS Solutions Lab et le Pacte mondial des Nations unies (UNGC).