Gestion du risque climatique dans les portefeuilles d’investissement institutionnels : études de cas

27 janvier 2021 | Dr Tessa Hebb, Peter Ellsworth

À mesure que la crise climatique et ses répercussions physiques s’accélèrent, de même que la transition vers une économie carboneutre, les investisseurs canadiens reconnaissent de plus en plus les risques matériels et financiers que représente le risque climatique pour leurs portefeuilles. Des investisseurs institutionnels de plus en plus importants savent qu’ils doivent évaluer et gérer les risques liés au climat s’ils veulent s’acquitter de leurs obligations fiduciaires envers les clients et les bénéficiaires.

Dans le cadre d’étapes qui s’alignent sur The Investor Agenda, une initiative visant à accélérer et à intensifier les actions qui sont essentielles pour maintenir le réchauffement de la planète sous la barre du 1,5 degré Celsius, certains régimes de retraite canadiens ont élaboré des plans d’action climatique impliquant des stratégies d’investissements faibles en carbone, l’engagement auprès des entreprises, la divulgation et le plaidoyer politique. Cet article explique comment trois régimes de retraite canadiens, la Caisse des dépôts et de placement du Québec (CDPQ), OP Trust et le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario (RREO) abordent le risque climatique dans leurs portefeuilles de placements respectifs.

Chacun de ces Plans a mis au point une gamme d’approches visant à évaluer et à gérer deux risques fondamentaux liés au changement climatique : le risque physique (p. ex., les impacts des vagues de chaleur, des sécheresses, des incendies de forêt, de l’élévation du niveau de la mer, des inondations et des tempêtes plus fortes) et le risque de transition (p. ex., les impacts des politiques climatiques gouvernementales comme la tarification du carbone et la transition technologique vers les énergies renouvelables, les véhicules électriques et les technologies économes en énergie et en ressources). Une stratégie consiste à « décarboniser » les portefeuilles en réduisant l’intensité carbone de portefeuilles entiers ou de classes d’actifs particulières. Une autre stratégie courante consiste à aligner leurs portefeuilles sur l’objectif « bien en dessous des 2 degrés Celsius » de l’Accord de Paris. Certains ont fixé des objectifs assortis de délais pour la réduction des émissions. D’autres ont fixé des objectifs quantitatifs pour intensifier leurs investissements à faible émission de carbone et positifs pour le climat, et font état de leurs stratégies et progrès conformément au cadre du Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (TCFD).

CDPQ

La CDPQ a adopté sa Stratégie d’investissement face au défi climatique en 2017. Celle-ci repose sur quatre piliers : prendre en compte le facteur climatique dans chacune des décisions d’investissement, réduire l’intensité carbone du portefeuille, augmenter les investissements sobres en carbone, ainsi qu’exercer un leadership renforcé en matière climatique auprès de l’industrie et des sociétés en portefeuille. Elle vise à réduire l’intensité carbone de son portefeuille de 25 % d’ici 2025 avec les bilans carbones pour chaque classe d’actifs. La CDPQ prévoit également augmenter de 80 % ses investissements à faible émission de carbone dans toutes les catégories d’actifs pour atteindre 32 milliards de dollars d’ici la fin de 2020.[1] Si un risque lié au climat est jugé important pour un investissement particulier, la CDPQ effectue une analyse qualitative rigoureuse du risque et de son impact, en faisant appel à des consultants spécialisés au besoin. Le fonds préfère l’engagement à l’exclusion, mais réduira son exposition lorsque l’engagement ne produit pas de résultats satisfaisants. D’ailleurs, la rémunération de son personnel d’investissement est alignée sur la réalisation de ces objectifs de réduction du carbone.

La stratégie d’investissement face au défi climatique de la CDPQ repose sur quatre principes : (1) des cibles réalisables (2) un rendement mesurable (3) une divulgation transparente du processus et des résultats et (4) la collaboration. La Stratégie est en avance sur le calendrier, la CDPQ ayant ajouté 16 milliards de dollars en actifs sobres carbone pour un total de 34 milliards de dollars d’ici la fin de l’exercice 2019 et réduit l’intensité carbone de son portefeuille de 21 % au cours de la même période.[2]

OPTrust

De même, OPTrust a publié son Plan d’action pour le climat (Climate Change Action Plan) en 2018 avec huit piliers conçus pour renforcer la résilience du Fonds face au changement climatique. OPTrust a entrepris plusieurs études dans le cadre de son analyse du changement climatique. La première, réalisée en 2017 avec Mercer Consulting qui a mené une analyse de scénario de changement climatique du fonds complet pour évaluer la résilience probable de son portefeuille à un monde à 2 degrés Celsius, soit l’objectif de l’Accord de Paris. Le second, en partenariat avec Ortec Finance, était un projet de gestion actif-passif/d’allocation d’actifs stratégique intégrant les risques et opportunités physiques et de transition associés au changement climatique dans plusieurs scénarios temporels multi-horizon. Une troisième, actuellement en cours, est une étude ascendante visant à établir une évaluation de base des risques liés au climat pour l’ensemble du fonds, y compris l’empreinte carbone, les actifs bloqués et les analyses de la transition énergétique.

Le fonds a effectué un sondage pour cerner les considérations de ses gestionnaires externes sur l’ESG et le climat dans leurs processus d’investissement. Par la suite, l’équipe d’OPTrust a créé un ensemble d’attentes claires pour l’intégration des facteurs ESG et climatiques dans le processus d’investissement à utiliser lors des réunions de ses dirigeants. Parce que l’échelle mondiale des risques liés au climat nécessite une action collective, OPTrust collabore avec des organisations telles que le Ceres Investor Network, CDP et le Réseau de leadership d’investisseurs. Le fonds participe également à l’initiative Climate Action 100+ pour engager les plus grands émetteurs de gaz à effet de serre.

OPTrust est actuellement en discussion avec des fournisseurs de données pour aider à concevoir des métriques ascendantes de risque de changement climatique en termes de risque physique et de risque de transition pour toutes les classes d’actifs. Il continue également de rechercher des modèles de risque qui fournissent des informations exploitables sur des questions clés, telles que la valeur carbone à risque, qui permettront aux gestionnaires de portefeuille d’intégrer en toute confiance et pleinement le changement climatique dans la construction du portefeuille et le processus d’investissement.

RREO

Le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario (RREO) intègre pleinement le risque climatique dans les processus d’investissement de l’organisation et chez tous ses professionnels de l’investissement. L’approche globale du Plan consiste à intégrer la prise en compte du changement climatique dans ses investissements, à lancer le dialogue avec les entreprises, l’industrie, les organismes de réglementation et les décideurs politiques afin d’effectuer des changements positifs et à rechercher les opportunités d’investissement qui se présentent. En 2017, le RREO a élaboré son cadre de transition vers une économie à faibles émissions de carbone (EFEC). Le cadre EFEC a identifié et surveille douze jalons qui sont des indicateurs de la direction et du rythme du changement de l’économie vers un avenir sobre en carbone, ce qui aide l’organisation à évaluer les mérites et la résilience à long terme des investissements.

Le RREO intègre systématiquement les risques et opportunités associés au changement climatique dans toutes les classes d’actifs et à tous les niveaux de l’organisation. Le Fonds est également actif à l’externe auprès des entreprises, de l’industrie et d’autres pour gérer les risques et investir dans les opportunités. Le principe de départ du RREO est que nous sommes en train de passer à une économie à faibles émissions de carbone ; cependant, la fluidité ou la perturbation de cette voie reste incertaine. Le cadre de transition vers une économie à faibles émissions de carbone identifie trois scénarios ou voies différents qui nécessitent une attention continue de l’organisation : 1) une transition ordonnée vers une économie à faibles émissions de carbone ; 2) une transition conforme aux politiques et pratiques actuelles ; et 3) une période de dépendance soutenue aux combustibles fossiles qui conduit finalement à des actions drastiques et perturbatrices pour freiner le réchauffement.

Un élément important de la stratégie climatique des enseignantes et des enseignants de l’Ontario consiste à exercer son influence en tant qu’investisseur majeur dans les caisses de retraite et à collaborer avec des organismes pairs. Outre sa représentation au sein des conseils d’administration des entreprises du portefeuille, le RREO est signataire et participant au Climate Action 100+, l’initiative mondiale des investisseurs visant à mobiliser les entreprises à fortes émissions de carbone ; membre fondateur du Réseau de leadership d’investisseurs, composé de quatorze propriétaires d’actifs mondiaux (dont six fonds de pension canadiens) qui préconisent une meilleure divulgation des changements climatiques ; et membre du groupe consultatif des investisseurs du SASB. Le RREO siège également au conseil d’administration du Global Real Estate Sustainability Benchmark (GRESB) et a contribué à la fondation de l’évaluation des infrastructures du GRESB. Faisant partie de l’écosystème financier canadien, le RREO est membre de la Coalition canadienne pour une bonne gouvernance et du Accounting for Sustainability CFO Leadership Network.

Le RREO n’a pas répertorié officiellement tous ses investissements qui soutiennent la transition vers une économie à faibles émissions de carbone, mais son portefeuille immobilier de 30 milliards de dollars répond aux normes LEED ou BOMA BEST et ses aéroports sont tous carboneutres ou progressent vers la neutralité carbone. Le Fonds a également des investissements directs dans les énergies renouvelables, les technologies liées au climat, l’agriculture et la foresterie durables et les infrastructures liées à l’eau. En novembre 2020, le RREO a lancé une obligation verte de 750 millions d’euros pour faire progresser son programme d’investissement durable.

Le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario élabore un cadre de maturité ESG spécifique au secteur qui s’inspire du travail de normalisation du SASB pour 77 industries et utilise les données de Bloomberg et de MSCI ainsi que notre évaluation exclusive de la gouvernance, des politiques et des pratiques des entreprises concernant les facteurs de durabilité importants. Le cadre permet au RREO de classer la gestion ESG des entreprises en tant que référence, avancée ou exceptionnelle, et de suivre les progrès de l’entreprise concernant des éléments tels que les pratiques de gestion des risques, l’intensité des émissions de carbone et la divulgation des risques climatiques conformément aux recommandations du TCFD.

Ces trois grands régimes de retraite canadiens sont des chefs de file dans la reconnaissance et la gestion du risque climatique dans leurs portefeuilles de placement. Chacun a pris des mesures concrètes et mesurables pour relever les défis posés par le changement climatique. Ils ont fixé des échéanciers pour leurs propres objectifs organisationnels. Ils se sont appuyés sur l’expertise interne et externe pour élaborer leurs objectifs. En plus de leurs structures internes, ils travaillent également au sein de coalitions et de cadres plus larges liés au climat. Bien que chacun des trois ait ses propres politiques et procédures de gestion des risques climatiques dans l’ensemble de ses portefeuilles, ils reconnaissent tous l’importance économique du changement climatique en tant que risques d’investissement et sont devenus les premiers à prendre des mesures globales pour identifier, évaluer et gérer les risques liés au climat dans leurs portefeuilles.

Cet article est tiré de « Portfolio Climate Risk Management : Case Studies on Evolving Best Practices », un rapport Ceres publié en juillet 2020.

Source:

[1] CDPQ (2020) https://www.cdpq.com/en/investments/stewardship-investing/climate-change, consulté le 13 janvier 2021.

[2] Ibid.

Clause de non-responsabilité de l’AIR
Les points de vue et opinions exprimés dans cet article n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue ou la position de l’Association pour l’investissement responsable (AIR). L’AIR n’approuve, ne recommande ni ne garantit aucune des revendications formulées par les auteurs. Cet article est conçu comme une information générale et non comme un conseil en investissement. Nous vous recommandons de consulter un conseiller qualifié ou un professionnel en investissement avant de prendre une décision de placement ou liée à un investissement.

Auteur

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Dr Tessa Hebb

Chercheure émérite
Ceres, Carleton Centre for Community Innovation Carleton University

Dr Hebb est chercheure émérite et ancienne directrice du Carleton Centre for Community Innovation, Université Carleton, Canada. Elle travaille avec Ceres pour étendre son empreinte au Canada. Elle est également professeure adjointe à la School of Public Policy and Administration et à la Sprott School of Business de l’Université Carleton. Elle a publié de nombreux ouvrages et articles sur l’investissement responsable et l’investissement d’impact, y compris les volumes The Routledge Handbook of Responsible Investment et SRI in the 21st Century : Does it make a Difference to Society.

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Peter Ellsworth

Directeur principal
Programme d’investisseurs de Ceres

Peter gère les relations clés avec les propriétaires d’actifs et les gestionnaires de placements qui composent le Ceres Investor Network, un groupe d’investisseurs engagé dans des politiques et des pratiques d’investissement durables. Il a co-écrit The 21st Century Investor: Ceres Blueprint for Sustainable Investing et dirige les travaux de Ceres sur les obligations vertes. Peter apporte à Ceres plus de vingt ans d’expérience sur les marchés des capitaux en travaillant avec des investisseurs, des gestionnaires d’actifs et des sociétés à la conception de structures d’investissement et de solutions de gestion des risques. Avant Ceres, il était directeur général de KLD et du partenariat indiciel FTSE KLD, directeur général des opérations de change chez BankBoston, chef du groupe de produits spéciaux de Deutsche Bank, et a fondé les opérations de change chez Kidder, Peabody. Il a fait ses études au Franklin & Marshall College, à l’Université de Bruxelles et à l’Université de Chicago.