L’engagement climatique véritable comprend l’intensification

22 septembre 2023 | Kyra Bell-Pasht, Matt Price

Les investisseurs ayant des engagements carboneutres partagent un même défi en ce qui concerne les sociétés à forte intensité de carbone inclut dans leurs portfolios. Pour l’instant, la plupart des investisseurs canadiens choisissent, du moins en public, de s’engager plutôt que de se désinvestir comme façon de décarboner leurs portfolios. Mais il s’agit là d’un choix infécond, car il faut également intensifier ces engagements dites doux qui ne fonctionnent pas. Afin de décarboner son portfolio (et réduire les risques auxquels il est exposé), l’investisseur canadien doit développer davantage sa stratégie d’engagement climatique. C’est-à-dire être prêt à intensifier ses tactiques d’engagement pour les rendre plus robustes et, dans les cas où il a y a peu ou pas de progrès, de désinvestir.

L’état actuel de l’engagement climatique des investisseurs au Canada—tel que nous l’entendons du fait de notre travail de promotion d’actionnaires climatiques depuis deux ans—se caractérise par :

– des réunions à portes closes entre investisseurs et sociétés cotées en bourse ;

– certaines initiatives menées par les investisseurs, telles qu’Engagement Climatique Canada et CA100+ ;

– un certain nombre de votes en soutien à des résolutions d’actionnaires à thème climatique, bien que les investisseurs se montrent peu enclin à déclarer leur soutien d’avance et à déposer des résolutions (surtout en ce qui concerne les investisseurs plus importants) ;

– peu d’efforts pour tenir responsable les directeurs de toute inaction climatique ; et

– de la frilosité (et / ou l’absence de savoir-faire) à étendre ces engagements aux titres à revenus fixes et aux investissements privés.

Au Royaume Uni, le terme quelque peu insolent utilisé pour décrire l’engagement sans intensification est « tea and biscuits » (thé et petits fours)—c’est-à-dire un exercice qui consiste à passer un moment sympathique avec l’entreprise et s’en arrêter là. Il va sans dire que presque personne ne s’attend à ce que cette approche produise un changement. En effet, dès lors que nous considérons les projets des grandes compagnies pétrolières, dont celles au Canada, elles redoublent d’efforts dans l’expansion gazière et pétrolière, malgré l’engagement des investisseurs, éloignant d’autant plus les portfolios des investisseurs de leurs cibles carboneutres.

Le Columbia Center on Sustainable Finance (Centre Columbia de finance durable) vient de publier un excellent bilan des meilleures pratiques financières carboneutres (en anglais). Il déclare que, pour qu’une politique d’engagement soit efficace, elle doit « définir des cibles claires, publier ses stratégies et ses résultats d’engagement, communiquer et réaliser des stratégies d’intensification et mettre en œuvre des conséquences bien définies pour tout manquement de performance. » Toute politique d’engagement doit être bien armée afin de stimuler le changement. Le Columbia Center a rédigé la liste ci-dessous de meilleures pratiques pour intensifier l’engagement :

– Dans le cas de fonds publics, faire du lobbying afin d’avoir des politiques publiques et une application règlementaire plus sévères dans le but de rendre plus efficace l’engagement des clients. De plus, aller plus loin que des simples résolutions d’actionnaires pour se diriger vers des votes contre les bilans financiers, contre la rémunération des cadres et / ou contre les directeurs où il n’y a pas eu d’action sensible au sujet de résolutions d’actionnaires en lien au climat (par exemple, BCI est l’un des premiers investisseurs canadiens à agir ainsi, de façon publique, auprès d’Imperial cette saison).

– Dans le cas de détenteurs de dettes, « l’occasion se présente, dans les moments critiques de refinancement en particulier, où les émetteurs de titres pourraient être obligés à inclure des stratégies climatiques et des plans de transition dans leurs obligations créancières. »

– Dans le cas d’investissements privés, c’est l’occasion d’acheter et de restructurer « des sociétés non-alignées à 1,5ºC afin d’assurer une transition véritable et crédible vers 1,5ºC. Leurs échéances à plus long terme par rapport aux marchés publics ainsi que leur modèles de gestion par pleine propriété leur offre un levier de taille. »

– Les détenteurs d’actifs ont la possibilité de « choisir (ou de renvoyer) les gestionnaires d’actifs sur la base de leur stratégie d’engagement climatique ou de durabilité autre (qui peut être décrite dans le prospectus du fonds du gestionnaire d’actifs) ; le plus ceci se fait ouvertement, le plus cela aura de l’influence. »

– Les banques ont la possibilité d’utiliser des incitatifs et des sanctions financiers afin d’encourager les sociétés à décarboner.

L’engagement climatique est un outil important pour décarboner les émissions financées, mais il doit être associé à ce genre de stratégies d’intensification afin d’influencer les directeurs de gestion.

Cela nous ramène à l’infécondité de faire placer l’engagement inutile en opposition au désinvestissement. Quand l’engagement ne fonctionne pas et qu’il devient clair qu’une société n’a aucune intention ou possibilité véritable de faire la transition vers la carboneutralité, les institutions financières doivent se tenir prêtes à s’en laver les mains afin d’éviter les risques de transition associés à ces actifs. Rathbones, une entreprise d’investissement basée au Royaume Uni qui gère plus de GBP60 milliards, est un excellent exemple d’un investisseur qui accepte de désinvestir quand sa stratégie d’intensification échoue. Cette approche est essentielle pour tenir responsables les sociétés et aidera à réduire la liquidité disponible aux acteurs de mauvaise foi.

Cette année, nous nous attendons à voir une amélioration des pratiques d’engagement de la part des institutions financières canadiennes par le biais d’une mise en œuvre de stratégies d’intensification—à l’instar des tendances en Europe et parmi certains des investisseurs les plus progressistes en Amérique du Nord—car leurs clients et le public s’attendent à les voir appliquer leurs engagements climatiques. Afin de soutenir cette transition, les investisseurs pourraient tirer parti d’un plus grand nombre d’analyses indépendantes et de qualité des plans carboneutres des plus gros émetteurs, surtout des institutions financières et du secteur gazier et pétrolier. Nous notons plus particulièrement de l’intérêt pour plus d’informations au sujet des meilleures pratiques en engagement climatique associées aux investissements privés et aux investissements en obligations de sociétés.

De plus, le fait de mettre la lumière sur les pratiques de vote par procuration des grands investisseurs canadiens aidera à tenir responsables les investisseurs en ce qui concerne leurs engagements déclarés en matière de climat. Les votes en soutien aux résolutions climatiques d’actionnaires est une approche d’engagement relativement douce, mais cela reste un premier pas essentiel dans une démarche d’intensification et est un moyen efficace de communiquer les priorités des actionnaires.


Clause de non-responsabilité de l’AIR
Les points de vue et opinions exprimés dans cet article n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue ou la position de l’Association pour l’investissement responsable (AIR). L’AIR n’approuve, ne recommande ni ne garantit aucune des revendications formulées par les auteurs. Cet article est conçu comme une information générale et non comme un conseil en investissement. Nous vous recommandons de consulter un conseiller qualifié ou un professionnel en investissement avant de prendre une décision de placement ou liée à un investissement.

Auteur

author's photo

Kyra Bell-Pasht

Directrice de la recherche et des politiques
Investors for Paris Compliance

Kyra Bell-Pasht possède plus de 10 ans d’expérience dans le domaine du droit et de la politique de l’environnement, avec un accent particulier sur les stratégies « zéro émission nette ». Elle a travaillé comme conseillère en matière de politique d’atténuation du changement climatique et comme consultante auprès des gouvernements, ainsi que comme avocate spécialisée en droit de l’environnement. Kyra est titulaire d’une maîtrise en droit d’Osgoode Hall et a été admise au barreau de l’Ontario.

author's photo

Matt Price

Directeur général
Investors for Paris Compliance

Matt Price est titulaire d’un baccalauréat de l’Université McGill et d’une maîtrise de York. Il compte plus de 20 ans d’expérience dans le secteur des organisations à but non lucratif, tant au sein d’ONG que de fondations caritatives. Il est l’auteur d’un ouvrage sur les campagnes publié par UBC Press.