L’Ukraine et les considérations géopolitiques pour l’investissement ESG

26 mai 2022 | Jeremy Lucas

Malgré l’importance croissante de la prise en compte des facteurs ESG dans le cadre d’un processus d’investissement, de nombreux investisseurs ne savent toujours pas comment intégrer une telle approche dans leur prise de décision, en particulier dans le contexte d’événements mondiaux émergents tels que la crise en Ukraine.

En tant qu’investisseurs en crédit d’entreprise, le processus d’investissement de notre équipe s’articule autour d’observations quantifiables de la valeur relative et des valorisations qui sont soutenues par une analyse approfondie des fondamentaux du crédit d’entreprise et du secteur. Nos efforts pour mettre l’accent sur les facteurs ESG dans notre processus d’investissement traditionnel nous ont encouragés à prendre en compte des facteurs difficiles à quantifier et à mesurer. La difficulté de mesurer l’impact des initiatives ESG et d’évaluer leur matérialité a donné lieu à de sérieux débats au sein de notre équipe et de la communauté des investisseurs au sens large. Tout le monde prétend être un leader ESG, mais très peu peuvent le soutenir. Naviguer dans cet environnement nécessite une approche active soutenue par un processus de recherche rigoureux afin de maximiser la performance tout en respectant les objectifs ESG.

Dans cette mer d’ambiguïté, une chose est claire : le secteur des combustibles fossiles est généralement considéré comme difficile dans les cadres d’investissement ESG. Ce n’est un secret pour personne que l’extraction, le raffinage et la consommation de combustibles fossiles entraînent d’importantes émissions de gaz à effet de serre. Sous la pression de l’action contre le changement climatique, de nombreux grands investisseurs, dont des régimes de retraite et des fonds souverains, ont prévu de se retirer complètement des investissements dans l’industrie pétrolière et gazière. Si ces mesures contribueront certainement à faire avancer les objectifs environnementaux, il convient de se demander si une sortie brutale est la bonne approche, surtout si l’on considère que nous continuons à dépendre du pétrole et du gaz dans pratiquement tous les aspects de l’économie mondiale. Nous commençons à voir les effets d’un manque d’investissement dans le secteur de l’énergie, car un environnement d’approvisionnement limité pourrait contribuer à une inflation croissante et avoir un impact négatif sur les consommateurs, en particulier ceux à faible revenu. 

Les récents événements choquants survenus en Europe ont des implications importantes pour les flux transfrontaliers de combustibles fossiles et entraîneront un débat accru sur la manière dont les économies occidentales consomment les produits énergétiques. La Russie est un grand producteur de pétrole et de gaz et une part importante de sa production énergétique est acheminée vers l’Europe et au-delà. La simple réalité est que le monde (et l’Europe en particulier) reste très dépendant des exportations énergétiques russes. Par conséquent, il est difficile pour les gouvernements occidentaux de sanctionner efficacement la production énergétique de la Russie. Les sanctions peuvent créer des difficultés pour toutes les parties concernées, et pourraient potentiellement laisser des millions de personnes dans le noir, sans électricité ni chauffage. 

La terrible crise en Ukraine et ses retombées dans toute l’Europe pourraient susciter un appel à l’augmentation des investissements dans les énergies renouvelables. Alors que l’incertitude entourant l’approvisionnement en énergie provoque des pics de volatilité des prix, la dépendance à l’égard de juridictions étrangères hostiles pour les produits énergétiques devrait accélérer un appel collectif à l’action. Les nations européennes pourraient investir davantage dans des initiatives nationales de production d’énergie durable afin de sevrer leurs économies des importations d’énergie russe. Malheureusement, l’impact de ces investissements ne se fera pas sentir à court terme et pourrait également avoir un coût élevé pour les consommateurs. La transition vers un avenir plus durable prendra du temps et pourrait impliquer des compromis environnementaux à court terme pour équilibrer les considérations sociales et économiques. Nous entendons déjà des appels au redémarrage de la production nationale alimentée par des combustibles fossiles en Europe afin de combler le fossé qui sépare l’Europe de sa dépendance à l’égard des produits énergétiques russes.

Il est possible de faire valoir que l’énergie provenant de juridictions où il existe des cadres de gouvernance solides et des engagements en faveur d’objectifs futurs d’émissions nettes nulles peut jouer un rôle important en comblant le fossé dans la transition des économies vers une plus grande dépendance aux énergies renouvelables à l’avenir. Ignorer le rôle que joue actuellement l’énergie dans notre économie semble être un risque, surtout si l’on considère les effets néfastes de l’inflation galopante à laquelle contribue la pression sur l’approvisionnement énergétique.

Le Canada peut jouer un rôle important dans la transition vers les énergies renouvelables, car il dispose actuellement d’un approvisionnement sûr et stable en produits pétroliers et gaziers. Les écologistes peuvent faire valoir que les sables bitumineux du Canada produisent d’importantes émissions de gaz à effet de serre ; toutefois, si l’alternative consiste à continuer de s’approvisionner en énergie dans des pays où les problèmes sociaux et de gouvernance sont de plus en plus importants, il ne faut peut-être pas rejeter si rapidement la production énergétique canadienne. Dans le cadre de notre transition vers un avenir plus vert, il faudrait peut-être mettre davantage l’accent sur l’investissement dans le secteur de l’énergie de juridictions stables et amicales afin de réduire la dépendance vis-à-vis du pétrole étranger provenant d’acteurs géopolitiques néfastes. La transition vers un avenir durable à long terme reste l’un des meilleurs moyens de réduire notre dépendance à l’égard de régimes hostiles pour le pétrole et le gaz. La question clé est de savoir comment nous y arrivons.

Il convient de débattre de la manière dont les secteurs de l’énergie des juridictions stables, dotés d’une gouvernance d’entreprise solide et d’une surveillance environnementale rigoureuse, s’intègrent dans un cadre d’investissement ESG. C’est là qu’une approche d’investissement active peut ajouter de la valeur et nécessitera un processus de recherche complet qui s’articule autour de discussions détaillées avec la direction et les acteurs du secteur, plutôt que de se fier simplement aux diapositives d’un émetteur ou aux scores ESG de tiers. L’importance de la transition vers les énergies renouvelables reste plus importante que jamais. Toutefois, pour maintenir la stabilité économique et éviter le chaos d’une sortie brutale des combustibles fossiles, la voie vers un avenir plus vert nécessite une réflexion et une planification minutieuses.


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Auteur

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Jeremy Lucas

Vice-président et gestionnaire de portefeuille
Dynamic Funds

Jeremy Lucas s’est joint en 2017 à l’équipe de Dynamique responsable des titres liés au crédit. Cette équipe gère plus de 6 milliards $ investis dans diverses catégories d’actif liées au crédit, y compris des obligations de sociétés de qualité, des actions privilégiées, des obligations et des prêts à haut rendement ainsi que des stratégies à taux variable et à rendement absolu.

M. Lucas possède 22 ans d’expérience dans le domaine des placements. Il y a exercé diverses fonctions, s’occupant notamment de produits dérivés axés sur l’énergie et de titres des marchés du crédit nord-américains. Il a auparavant occupé des postes en recherche (côté vente) et en négociation d’obligations à haut rendement auprès d’une grande banque canadienne, où il a joué un rôle clé sur le marché canadien spécialisé dans ces instruments.