Une gestion active des placements dans les obligations de sociétés traditionnelles peut susciter d’importants changements sociaux

11 novembre 2021 | Daniel Yungblut

Il ne fait aucun doute que la société s’attend à ce que le secteur des placements et les marchés financiers affectent les capitaux de façon responsable pour contribuer à régler certains problèmes cruciaux. Certes, les investisseurs boursiers ont davantage d’influence sur la manière d’agir des entreprises en raison de leur droit de parole et du vote par procuration. Cependant, les investisseurs obligataires jouent un rôle de premier plan dans la mobilisation de capitaux et ils peuvent donc influencer aussi les stratégies d’affaires.

En général, les sociétés tendent à émettre des titres d’emprunt, comme les obligations, plus fréquemment que des titres de capitaux propres. Par conséquent, les équipes de direction des entreprises tentent souvent de convaincre les investisseurs d’acheter leurs obligations. Même si les participants au marché du crédit n’ont pas accès au vote par procuration, ils peuvent s’avérer des acteurs clés dans la réalisation de changements positifs.

Récemment, différentes formes d’obligations « responsables » ont connu un essor. On les nomme par exemple obligations vertes, obligations sociales ou obligations liées au développement durable (ou simplement obligations durables). Pour les investisseurs, elles semblent répondre au besoin de participer à un changement positif. Les obligations responsables agissent certainement en ce sens, mais il existe un argument de taille, à savoir que les acheteurs d’obligations traditionnelles peuvent faire encore plus bouger les choses en interagissant activement avec les entreprises et en demandant des changements.

Obligations responsables : un aperçu

Comme les enjeux environnementaux, sociaux et liés à la gouvernance (ESG) prennent de plus en plus d’importance sur les marchés financiers du monde, les investisseurs institutionnels, leurs clients ainsi que leurs bénéficiaires réclament que les entreprises en fassent davantage dans ce domaine. La création d’obligations de sociétés renfermant des clauses qui exigent certains comportements souhaitables dans le cadre des enjeux ESG a constitué une avancée essentielle.

Les premières formes d’obligations responsables, comme les obligations vertes et sociales, comportent des clauses qui encadrent l’utilisation des sommes recueillies. Cela permet de garantir aux investisseurs qu’ils ont contribué à faire changer les choses, puisque les capitaux mobilisés serviront à des projets aux retombées favorables. Les émissions d’obligations vertes et d’obligations sociales continuent de croître à l’échelle mondiale et la tendance, espérons-le, devrait se poursuivre.   

Influence sur la stratégie d’entreprise : avoir une vision plus large

Les obligations vertes ou sociales ne peuvent influencer les agissements des entreprises qu’en ce qui a trait au produit découlant de leur émission. Prenons l’exemple d’une société énergétique qui utilise le charbon et qui possède une dette de 20 milliards $. Elle met en circulation une obligation verte pour lever 500 millions $ à investir dans une petite turbine éolienne, ce qui constitue une amélioration d’envergure limitée par rapport à l’ensemble de ses activités. Pendant ce temps, l’entreprise continue d’investir le produit, plus élevé, de ses obligations traditionnelles dans le maintien de ses activités normales.

Si les investisseurs actifs misant sur les fondamentaux qui détiennent les 20 milliards $ d’obligations traditionnelles décident de présenter des demandes à la direction de l’entreprise, ils bénéficient d’un puissant bras de levier pour militer en faveur de l’adoption d’une stratégie globale plus responsable.

Il s’agit peut-être d’un exemple extrême, mais la plupart des obligations vertes ou sociales sont, dans les faits, des émissions uniques qui forment seulement une petite partie du profil financier de l’émetteur. Bref, même si les obligations vertes ou sociales peuvent être une source de changement positif, les détenteurs d’obligations traditionnelles qui s’engagent réellement ont la capacité de faire bouger les choses encore plus.

Obligations liées au développement durable : une solution novatrice

Récemment, les obligations durables ont gagné en popularité. Elles comportent des clauses qui incitent les entreprises à atteindre des mesures de rendement précises, en prévoyant une augmentation du coût des capitaux empruntés si elles n’y parviennent pas. Dans le cas des obligations vertes et sociales, seul le produit de l’émission engendre des retombées positives. En revanche, les obligations durables ont le potentiel d’influencer directement les comportements et les objectifs de l’entreprise dans leur ensemble. Même si les obligations durables sont relativement nouvelles et que le nombre d’émissions mises en circulation à ce jour est limité, elles constituent une grande innovation et ajoutent une corde de plus à l’arc des investisseurs obligataires désireux de voir des changements.

À mesure que davantage d’obligations durables arriveront sur le marché, nous pourrons évaluer à quel point les entreprises sont résolues à établir et à respecter des cibles exigeantes en matière d’amélioration du rendement. Alors que le marché des obligations durables prendra de l’expansion, il sera crucial pour les investisseurs actifs de poursuivre leurs interactions avec les entreprises afin de les tenir responsables et de vérifier que les mesures de rendement employées soient à la fois tangibles et pertinentes. Or, accorder une importance disproportionnée à une ou deux mesures pourrait dépeindre de manière incomplète le comportement général de l’entreprise ou de la direction.

De plus, les mesures peuvent être manipulées. Par exemple, l’entreprise énergétique utilisant le charbon pourrait mettre en circulation une obligation durable et s’engager à réduire l’intensité des émissions de carbone liées à son chiffre d’affaires, puis accomplir cet objectif en acquérant une société énergétique œuvrant dans l’éolien. L’intensité de ses émissions va diminuer, mais le monde ne s’en portera pas mieux, car le volume restera le même.

À l’inverse, si une entreprise d’énergie renouvelable acquiert une centrale au charbon dans l’objectif de la convertir vers un mode de production plus durable, l’intensité de ses émissions de carbone augmentera dans les premiers temps, mais par la suite, les émissions totales chuteront et le monde en bénéficiera. Dans ce cas-ci, l’achat d’une obligation traditionnelle de la seconde entreprise contribuerait davantage à la réduction des émissions de carbone qu’une obligation durable de la première entreprise, qui a procédé à une fusion-acquisition dans le seul objectif de manipuler les chiffres.

Les gestionnaires actifs qui ne se limitent pas à investir dans des obligations durables et à examiner une ou deux mesures auront la possibilité de financer un plus large éventail de solutions aux défis ESG actuels.

Regard vers l’avenir

Les divers types d’obligations responsables poursuivront sans doute leur évolution. Leur mise en circulation continuera d’influencer positivement la société. Toutefois, pour que le marché des obligations de sociétés parvienne à jouer pleinement son rôle de catalyseur de changements positifs, il faudra la participation d’investisseurs fondamentaux actifs qui interagissent avec les entreprises et emploient leur pouvoir d’achat d’obligations traditionnelles pour influencer les stratégies d’affaires.

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Les points de vue et opinions exprimés dans cet article n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue ou la position de l’Association pour l’investissement responsable (AIR). L’AIR n’approuve, ne recommande ni ne garantit aucune des revendications formulées par les auteurs. Cet article est conçu comme une information générale et non comme un conseil en investissement. Nous vous recommandons de consulter un conseiller qualifié ou un professionnel en investissement avant de prendre une décision de placement ou liée à un investissement.

Auteur

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Daniel Yungblut

Vice-président et chef de la recherche, président du Comité des placements ESG
Dynamic Funds

Avant de se joindre à l’équipe des titres à revenu fixe de Fonds Dynamique en 2009, Daniel Yungblut a travaillé comme analyste pour le compte d’une entreprise spécialisée dans la gestion d’actifs, où il s’occupait de la gestion du risque et de la surveillance des portefeuilles de placement. Promu gestionnaire de portefeuille en 2012, ses responsabilités englobaient les placements effectués par plusieurs mandats dans le domaine du crédit. En 2016, l’équipe de recherche sur le crédit a vu le jour et M. Yungblut en est devenu le premier chef. Il chapeaute la recherche et l’analyse fondamentales sur le crédit pour les groupes spécialisés dans les titres à revenu fixe de Gestion d’actifs 1832. En 2019, il a été promu vice-président et chef de la recherche. Avant de faire son entrée dans l’industrie en 2005, M. Yungblut a obtenu une bourse du Commonwealth et une maîtrise ès arts spécialisée en économie politique mondiale de l’Université du Sussex, où il a effectué des recherches sur les risques associés aux swaps sur défaillance et à d’autres instruments dérivés dans le système financier mondial. Il détient aussi une maîtrise en droit spécialisée en technologie et innovation de l’Université de Toronto.