Comment les investisseurs peuvent favoriser le changement dans les centres de soins infirmiers au Canada

27 juillet 2021 | Nina Roth, Rosa van den Beemt

Avant l’éclosion de la pandémie de COVID-19, les problèmes de soins de santé dans les centres de soins infirmiers étaient souvent négligés. La dernière année a clairement démontré que des conditions de travail inadéquates et des soins insuffisants prodigués aux personnes âgées constituent d’importants problèmes de droits de la personne qui doivent être traités de façon urgente. En tant qu’investisseurs, nous devons contribuer à favoriser des changements positifs dans ce secteur.

De nombreux employés de centres de soins infirmiers travaillent dans des environnements stressants. Ils gagnent souvent un salaire peu élevé et travaillent à temps partiel ou dans le cadre d’arrangements précaires – dans certains pays, ils ne sont pas rémunérés en cas de maladie et ne sont pas représentés par un syndicat. La plupart des employés sont des femmes, souvent issues de minorités ou de milieux marginalisés. Les centres de soins infirmiers ont du mal à attirer et à conserver suffisamment de travailleurs pour répondre à la demande actuelle, sans parler de la nécessité d’augmenter le nombre d’aidants naturels afin de répondre aux changements démographiques. Dans de nombreux centres, le ratio du personnel par rapport au nombre de résidents n’est pas suffisant pour fournir des soins de base aux résidents, sans compter la qualité des soins requis lors d’une pandémie.

Feu des projecteurs sur la COVID-19

Pendant la pandémie, le personnel des centres de soins infirmiers a pris soin des personnes les plus vulnérables au virus dans des environnements à très haut risque. Le secteur s’est retrouvé dans l’œil de la tempête, en grande partie à cause du manque de préparation à l’échelle mondiale pour une pandémie de cette ampleur et de l’incapacité des gouvernements à réglementer les centres de soins infirmiers et à soutenir leurs résidents. Cette situation a exacerbé les vulnérabilités inhérentes aux soins aux personnes âgées et donné lieu à des chiffres inquiétants :

  • Selon ce rapport, en moyenne 41 % de tous les décès survenus dans 22 pays se sont produits dans des centres de soins infirmiers.
  • Des centaines de milliers d’employés des centres de soins infirmiers ont été infectés pendant la pandémie, et bon nombre d’entre eux sont décédés ou font maintenant face à des séquelles durables.

Tout au long de la pandémie, les scandales liés aux centres de soins infirmiers ont été nombreux. Au Canada, ce rapport (en anglais seulement) publié par l’International Longevity Centre stipule que la diminution de la reconnaissance des droits fondamentaux des personnes âgées constitue l’incidence la plus grave liée à la COVID-19, une déclaration qui en dit long et qui est étayée par de nombreuses informations alarmantes sur la hausse des abus envers les aînés et sur l’âgisme, notamment des violations en matière de réglementation des soins de santé dans les centres de soins infirmiers.

Par ailleurs, les travailleurs de la santé de Rykka Care Centres, une entreprise affiliée à Responsive Group Inc., ont déposé une plainte en matière de droits de la personne (en anglais seulement) pour discrimination fondée sur le sexe et la couleur de la peau, demandant de meilleures conditions de travail et le remplacement de la direction des centres. Le gouvernement provincial a également été désigné comme intimé pour son incapacité à réglementer et à superviser adéquatement les activités des centres de soins infirmiers.

Au Royaume-Uni, Amnistie internationale a signalé qu’une série de décisions « scandaleusement irresponsables » prises par le gouvernement, y compris la décision de transférer des patients infectés dans des centres de soins infirmiers, ont mis en danger la vie de dizaines de milliers de personnes âgées et entraîné de multiples violations de leurs droits de la personne. Un an après le début de la pandémie, une étude menée par UNI a révélé que la plupart des travailleurs de la santé ne gagnent toujours pas un salaire décent et que près du tiers d’entre eux n’ont pas un accès suffisant à l’équipement de protection individuelle.

En quoi cela concerne-t-il les investisseurs?

À mesure que les centres de soins infirmiers se remettent du virus, nous devons tirer parti de cette occasion pour améliorer le secteur de façon permanente en développant un modèle de travail plus résilient et humain. Nous aborderons ainsi les enjeux fondamentaux liés aux droits de la personne et contribuerons à une société plus juste et plus durable pour nous tous.

Si les droits de la personne ne sont pas une raison suffisante pour montrer pourquoi l’amélioration de ce secteur est si importante, il faut aussi tenir compte des raisons d’affaires. De meilleures normes de travail favoriseront de meilleurs soins, ce qui contribuera à atténuer les risques juridiques, de réputation et opérationnels pour les entreprises de ce secteur. Par exemple, cet article de Bloomberg Canada (en anglais seulement) datant de mai 2020 fait état de la chute des actions de sociétés de soins de longue durée dans la foulée du scandale des soins de santé en Ontario, dans lequel un rapport des Forces armées canadiennes décrit en détail le traitement « horrible » infligé aux résidents.

Conseils pratiques à retenir et mesures concrètes à prendre pour les investisseurs

Les entreprises doivent relever les normes relatives aux conditions de travail et à la qualité des soins, mais le poids ne repose pas uniquement sur leurs épaules : les gouvernements et les organismes de réglementation doivent veiller à ce que les cadres réglementaires et les dispositions en matière de financement permettent aux centres de soins infirmiers de répondre aux normes plus élevées. En tant qu’investisseurs dans ce secteur, notre rôle est d’établir des attentes claires à l’égard des entreprises en ce qui a trait à l’amélioration de ces normes.

En collaboration avec 99 autres institutions financières et représentant un actif sous gestion et un actif sous services-conseils combinés de 3 500 milliards de dollars, nous avons élaboré la déclaration des investisseurs sur les attentes à l’égard du secteur des centres de soins infirmiers (en anglais seulement) d’UNI Global Union et nous l’avons signée. Il est encore possible pour les investisseurs de signer et d’appuyer la déclaration. Nous demandons aux sociétés émettrices :

  • d’élaborer et de mettre en œuvre des normes qui non seulement s’adaptent aux exigences réglementaires locales en matière de sous-effectifs, de santé et de sécurité, de salaires, de négociations collectives et de qualité des soins, mais qui vont au-delà de celles-ci.
  • qui possèdent des biens immobiliers utilisés pour les centres de soins infirmiers, par exemple les fiducies de placement immobilier, d’aider les exploitants à répondre à ces attentes en supervisant leurs propriétés et en contrôlant leurs processus de surveillance afin de s’assurer que nos normes sont respectées.

À BMO Gestion mondiale d’actifs, nous avons communiqué avec 13 sociétés et fiducies de centres de soins infirmiers pour les inciter à disposer d’un nombre d’employés approprié, à améliorer les normes de santé et de sécurité, à utiliser adéquatement l’équipement de protection individuelle, à offrir des salaires équitables, à verser une prime de risque en cas de pandémie et à permettre au personnel de se syndiquer. Au moment où nous écrivons ces lignes, trois d’entre elles ont répondu, et des dialogues devraient bientôt avoir lieu.

Nous avons également soutenu les questions posées lors de l’assemblée générale annuelle de Fresenius SE concernant les normes du travail, ainsi que les propositions d’actionnaires déposées par d’autres investisseurs d’entreprises comme Chartwell Retirement Residences, demandant plus de renseignements sur la gestion du capital humain et le versement d’un salaire de subsistance au personnel.

Dernières observations

Nous pensons que ces attentes arrivent à un moment crucial : la barre doit clairement être relevée pour ce qui est des conditions de travail et de la qualité des soins dans les centres de soins infirmiers, et nous avons hâte de collaborer avec les entreprises et les autres investisseurs afin de changer les choses pour le bien commun. Nous croyons que le fait de s’attaquer à ces problèmes améliorera la confiance des investisseurs, des organismes de réglementation, des travailleurs, des résidents et de leur famille dans le secteur des centres de soins infirmiers, en cette période de grande inquiétude et au-delà.

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Auteur

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Nina Roth

Directrice générale, investissement responsable
BMO Global Asset Management

Nina Roth est une directrice générale de l’équipe Investissement responsable de BMO Gestion mondiale d’actifs. Elle s’est jointe à la société en 2019 et elle se concentre sur la gestion des relations avec les clients en Allemagne et sur l’analyse des questions environnementales, sociales et de gouvernance pour un éventail de secteurs. Très récemment, elle a travaillé à l’agence allemande de coopération internationale pour le développement dans le but de mobiliser les institutions financières des marchés émergents et leurs organismes de réglementation autour de la finance durable. Mme Roth s’est jointe à l’agence allemande de coopération internationale pour le développement après avoir travaillé à Hong Kong pour la banque suisse UBS, où elle était responsable de la gestion du risque environnemental et social dans la région Asie- Pacifique. Avant cela, elle a travaillé pour UBS à Zurich et à New York, ainsi que pour la Deutsche Bank à Francfort, où elle a élaboré le cadre de responsabilité environnementale, sociale et de gouvernance de l’organisation. En 2014, Mme Roth a fondé le groupe de travail des institutions financières de l’organisme Roundtable on Sustainable Palm Oil. Elle est titulaire d’une maîtrise en sciences politiques de l’université libre de Berlin, en Allemagne.

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Rosa van den Beemt

Directrice générale, Responsabilité de gérance, Investissement responsable
BMO Global Asset Management

Rosa van den Beemt est responsable de l’approche de la gérance au sein de BMO Gestion mondiale d’actifs. Elle s’occupe de la mobilisation des sociétés émettrices, du vote par procuration, de la défense des politiques publiques sur les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) afin de créer des changements positifs au long terme pour ses clients. Elle représente BMO Gestion mondial d’actifs dans divers organismes et comités du secteur, tels que le Conseil consultatif de l’Alliance canadienne des investisseurs pour les droits de la personne, le Comité environnemental et social de la Coalition canadienne pour une bonne gouvernance, le Comité directeur d’Engagement climatique Canada et le conseil de direction de l’Association pour l’investissement responsable. Avant de se joindre à BMO Gestion mondiale d’actifs, Rosa travaillait chez Placements NEI où elle a dirigé le programme de vote par procuration ainsi que diverses initiatives de mobilisation d’entreprises. Après avoir travaillé dix ans dans le secteur de l’investissement responsable, elle possède une vaste expérience de la gouvernance d’entreprise en Amérique du Nord, des droits de la personne et des activités de placement, ainsi que de la mobilisation des membres de la direction et du conseil d’administration par rapport aux facteurs ESG. Elle est titulaire d’un baccalauréat ès science politique et d’une maîtrise ès sciences en études du développement international de l’Université d’Amsterdam.