COVID-19, production alimentaire et rôle de l’engagement des investisseurs

29 juillet 2020 | Nina Roth

La COVID-19 a eu des répercussions importantes sur la chaîne alimentaire mondiale. Les files d’attente chez les détaillants alimentaires, la pénurie de produits clés et la difficulté de faire ses achats en respectant les mesures de distanciation physique ont touché une grande partie de la population mondiale. Du côté de la production, en particulier dans les usines de transformation de la viande, le manque d’options de distanciation ou d’équipement de protection adéquat contre le virus a rendu beaucoup de travailleurs malades et forcé bon nombre d’usines à fermer. En outre, en raison de l’arrêt de la chaîne d’approvisionnement commerciale, nous avons aussi constaté une augmentation du gaspillage alimentaire.

Impacts sur l’approvisionnement alimentaire

Comme c’est le cas de nombreuses autres chaînes d’approvisionnement, les systèmes alimentaires sont complexes et mondiaux, et ils sont actuellement perturbés par une combinaison de facteurs :

  • Perturbation des récoltes: C’est la saison des récoltes dans bien des régions de l’hémisphère nord. En théorie, cela assure la disponibilité de nourriture locale pendant toute la saison. L’agriculture dépend énormément d’une main-d’œuvre bon marché, mais expérimentée et flexible. Les frontières étant fermées, la main-d’œuvre à faible salaire – venue, par exemple, de l’Europe centrale et de l’Europe de l’Est ou de l’Amérique du Sud (elle aussi en grande partie confinée) pour travailler chez leurs voisins plus riches – est devenue rare. Malgré les dérogations ayant rapidement été mises en place – comme des programmes particuliers de visa –, de nombreux agriculteurs craignent que de grandes parties de leurs récoltes soient gaspillées.
  • Perturbation de la production: La production a été totalement interrompue à divers endroits dans le monde à cause d’éclosions du virus au sein du personnel et de difficultés à mettre en œuvre des mesures de distanciation physique. Les usines de transformation du porc et d’emballage de viande, comme celles des producteurs américains Smithfield et Tyson, en sont des exemples. Pour d’autres, la production pourrait être interrompue en raison d’un manque d’approvisionnement en ingrédients.
  • Perturbation du transport et du commerce: Comme certains ports ne fonctionnent pas comme d’habitude, l’expédition peut être retardée ou annulée. Les trains et les camions de marchandises ne peuvent pas traverser certaines frontières, et certains pays ont suspendu tous les vols.
  • Restrictions à l’exportation: Même si le transport demeure permis, des restrictions à l’exportation peuvent perturber la livraison. La Turquie, qui fournit des citrons au tiers de la planète, limite leur exportation. La Russie, l’Ukraine et la Roumanie figurent parmi les pays qui ont stoppé les exportations de céréales. Bien que ces restrictions soient encore l’exception, leur effet se fait tout de même sentir. La réduction des exportations de céréales touche les éleveurs de bétail. En effet, certains d’entre eux ont déjà de la difficulté à trouver suffisamment de nourriture pour leurs troupeaux1.
  • Déplacement de la demande des entreprises aux détaillants: Les habitudes alimentaires ont changé du tout au tout, les gens mangeant à la maison plutôt qu’au travail ou au restaurant. La demande alimentaire s’est donc soudainement déplacée du secteur des entreprises à celui des commerces de détail. Cependant, les chaînes d’approvisionnement de ces deux secteurs présentent des différences fondamentales sur le plan des quantités, des dimensions, des formats de livraison et d’emballage et des mécanismes de commande, ce qui a donné lieu à une perte de revenus et de nourriture.

Ce sont les pays les plus défavorisés qui subiront les conséquences les plus graves découlant de l’incapacité à relever ces défis. Le Programme alimentaire mondial des Nations Unies signale2 que le nombre de personnes souffrant de la faim en raison de la crise de la COVID-19 pourrait passer de 135 millions à plus de 250 millions et que les pays les moins développés seraient les plus touchés3. La dimension humaine de cette pandémie va donc au-delà des personnes immédiatement touchées par le virus et menace gravement l’atteinte du deuxième objectif de développement durable, qui consiste à éliminer la faim. Dans certaines régions agricoles, des sécheresses et des invasions de criquets rendent la situation encore plus complexe.

Mobilisation

La mobilisation des investisseurs auprès des détaillants, des négociants et des producteurs en ce qui a trait aux systèmes alimentaires durables constitue une partie de la solution au problème. La pandémie confirme la nécessité de faire des simulations de crise dans la chaîne d’approvisionnement, d’avoir un plan efficace de continuité des activités et d’établir des relations solides avec ses fournisseurs au lieu de compter sur des tiers. Certaines entreprises, ayant reconnu les difficultés financières de leurs fournisseurs, payent leurs factures à l’avance ou appuient des programmes de garantie de prêts.

La protection des travailleurs est un élément clé. La chaîne alimentaire est exigeante en main-d’œuvre et se caractérise par des emplois mal rémunérés et souvent difficiles physiquement. Par nos efforts de mobilisation, nous devons aborder et approfondir les défis supplémentaires que la pandémie a posés, comme les difficultés liées à la mise en œuvre de la distanciation physique dans des environnements tels que les usines et les magasins d’alimentation. Cette mobilisation devrait encourager les auteurs de bonnes pratiques (comme les congés de maladie payés) à rendre celles-ci permanentes.

Nos autres options de mobilisation comprennent le fait d’encourager les institutions financières à soutenir les entreprises clientes du secteur de l’alimentation, notamment au moyen de subventions, du report de versements hypothécaires et d’entretiens sur l’allègement de la dette. La mobilisation relative aux dettes souveraines pourrait inclure des discussions sur la minimisation des restrictions à l’exportation et au commerce et sur la constitution responsable de réserves.

Conclusion

Assurer la sécurité alimentaire et la continuité des activités est une tâche complexe qui comporte des défis, notamment la protection des travailleurs, le déplacement de la chaîne d’approvisionnement des entreprises vers les détaillants, et le soutien financier des agriculteurs et des acteurs connexes du secteur.

La mobilisation des investisseurs n’est qu’une petite partie de la solution, mais vu l’ampleur du problème, elle est importante. Les investisseurs ne sont pas seulement des acteurs financiers, mais aussi des acteurs sociaux qui ont une responsabilité sociétale. Pour lutter contre la faim, il faudra que les programmes d’allègement de la dette mis en œuvre par le G20 soient reproduits sur les marchés financiers. Comme le demande le G204, les créanciers du domaine privé doivent étudier les options de suspension des paiements du service de la dette5 pour soustraire certains des pays les plus pauvres à leurs obligations de remboursement immédiat afin qu’ils puissent se concentrer à garantir et à distribuer de la nourriture pour leur population.

Sources:

[1] https://www.bloomberg.com/news/articles/2020-04-10/food-supply-fears-are-growing-as-romania-bans-grain-exports (en anglais)

[2] Rapport mondial sur les crises alimentaires 2020 (en anglais) : https://www.wfp.org/publications/2020-global-report-food-crises

[3] Les pays les plus touchés sont probablement le Yémen, la République démocratique du Congo, l’Afghanistan, le Venezuela, l’Éthiopie, le Soudan du Sud, le Soudan, la Syrie, le Nigeria et Haïti.

[4] Le secteur privé devrait participer au plan d’allègement de la dette des pays pauvres (article en anglais), FT, mai 2020 : https://www.ft.com/content/f4de06d4-8af3-11ea-a109-483c62d17528

[5] Communiqué suivant la réunion des ministres des finances et des gouverneurs de banque centrale du G20, avril 2020 (en anglais)

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Auteur

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Nina Roth

Directrice générale, investissement responsable
BMO Global Asset Management

Nina Roth est une directrice générale de l’équipe Investissement responsable de BMO Gestion mondiale d’actifs. Elle s’est jointe à la société en 2019 et elle se concentre sur la gestion des relations avec les clients en Allemagne et sur l’analyse des questions environnementales, sociales et de gouvernance pour un éventail de secteurs. Très récemment, elle a travaillé à l’agence allemande de coopération internationale pour le développement dans le but de mobiliser les institutions financières des marchés émergents et leurs organismes de réglementation autour de la finance durable. Mme Roth s’est jointe à l’agence allemande de coopération internationale pour le développement après avoir travaillé à Hong Kong pour la banque suisse UBS, où elle était responsable de la gestion du risque environnemental et social dans la région Asie- Pacifique. Avant cela, elle a travaillé pour UBS à Zurich et à New York, ainsi que pour la Deutsche Bank à Francfort, où elle a élaboré le cadre de responsabilité environnementale, sociale et de gouvernance de l’organisation. En 2014, Mme Roth a fondé le groupe de travail des institutions financières de l’organisme Roundtable on Sustainable Palm Oil. Elle est titulaire d’une maîtrise en sciences politiques de l’université libre de Berlin, en Allemagne.