Investir pour l’inclusion raciale

5 novembre 2020 | Dustyn Lanz

Ces derniers mois, la discrimination raciale est devenue très visible, alors que les journalistes citoyens partagent des vidéos de violence et de brutalité contre les communautés noires et autochtones, souvent aux mains de policiers.

Mais l’injustice raciale va bien au-delà de la violence et de l’application de la loi. Des formes non violentes de discrimination raciale et d’inégalité sont présentes dans de nombreux aspects de la société, y compris les entreprises dans lesquelles nous investissons.

Discrimination raciale et manque de diversité du Canada

En novembre 2019, le Boston Consulting Group a publié un rapport sur la diversité et l’inclusion dans les entreprises canadiennes. Le rapport, basé sur un sondage auprès de 5 082 travailleurs canadiens dans des entreprises de plus de 1 000 employés, a révélé que 34 % de ceux qui s’identifiaient comme des personnes de couleur étaient victimes de discrimination en milieu de travail. Il a également révélé que 40 % des répondants autochtones avaient été victimes de discrimination au travail.

De plus, les Noirs, les Autochtones et les personnes de couleur (BIPOC) sont nettement sous-représentés aux postes de direction d’entreprise.

Comme je l’ai expliqué dans une chronique précédente, les sociétés cotées en bourse constituées en société en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA) sont désormais tenues de divulguer les proportions d’Autochtones et de membres des minorités visibles au sein de leur conseil d’administration et de la haute direction. Norton Rose Fulbright, un cabinet d’avocats, a récemment analysé les divulgations sur la diversité de 199 sociétés au début de juillet, et les chiffres sont lamentables. Alors que 64,8 % des émetteurs ont déclaré ne pas avoir de représentation des minorités visibles dans les postes de haute direction, 75,4 % ont déclaré ne compter aucun membre des minorités visibles au sein de leur conseil.

Les chiffres sont encore plus frappants pour la représentation autochtone, avec 96,5 % des émetteurs déclarant ne pas avoir de membre d’une communauté autochtone au sein de leur conseil d’administration et 97,5 % n’ayant pas une telle représentation à des postes de haute direction.

Dans l’ensemble, Norton Rose Fulbright a constaté que la représentation moyenne des minorités visibles est de 4,7 % au niveau du conseil et de 7,4 % au niveau de la haute direction. Ces chiffres contrastent fortement avec les dernières données disponibles de Statistique Canada, qui montrent que les minorités visibles représentent 22,3 % de la population canadienne, tandis que les Autochtones représentent 4,9 % de plus. Il existe clairement un déficit de diversité important dans les entreprises canadiennes.

La diversité est bonne pour les valeurs et la valorisation

Ces graves inégalités raciales sont injustes et elles brossent un tableau saisissant de la mesure du chemin que nous avons à parcourir en matière de diversité et d’inclusion. Les inégalités raciales signifient également des opportunités perdues pour les entreprises et les investisseurs – il y a une valeur intrinsèque à avoir un milieu de travail diversifié et inclusif.

Si une analyse de rentabilisation ne devrait pas être requise pour que la société agisse, l’argumentaire d’investissement en faveur de la diversité et de l’inclusion s’avère assez solide. Une étude mondiale de McKinsey a révélé que les entreprises dotées des équipes de direction les plus diversifiées sur le plan ethnique sont 33 % plus susceptibles de surpasser leurs pairs en termes de rentabilité, tandis que les entreprises dont les conseils d’administration sont les plus diversifiés sur le plan ethnique à l’échelle mondiale sont 43 % plus susceptibles de réaliser des bénéfices plus élevés.

Ici au Canada, un rapport du Centre for International Governance Innovation, basé sur une analyse de 7 900 entreprises canadiennes, a révélé qu’une augmentation de 1 % de la diversité ethnoculturelle était associée à une augmentation moyenne de 2,4 % des revenus et à un gain de 0,5 % de la productivité au travail.

En ce qui concerne les risques, Starbucks a perdu environ 16,7 millions de dollars de ventes en raison d’un incident de racisme en 2018 après avoir fermé 8000 de ses magasins pour une formation visant à lutter contre les préjugés. La société a également subi des préjudices à sa réputation en raison de la presse négative lors de l’incident, qu’Apex Marketing Group a évalué à près de 16 millions de dollars américains.

De toute évidence, il existe de solides arguments en faveur de la diversité et de l’inclusion de la part des perspectives sur l’investissement responsable fondées à la fois sur la valeur et la valorisation.

Évolution du marché

Le marché évolue pour aider à combler le déficit en matière de diversité. En juin, le Conseil canadien des chefs d’entreprise contre le racisme systémique envers les Noirs nouvellement créé a annoncé sa formation et lancé l’Initiative BlackNorth pour accroître la représentation des Noirs dans les salles de conférence et les suites exécutives partout au Canada. Dans le cadre de l’un de ses premiers programmes, BlackNorth s’est mobilisée auprès des PDG pour inciter les dirigeants d’entreprise à prendre une série d’engagements visant à faire progresser la diversité raciale et l’inclusion au sein de leurs organisations.

En octobre, les investisseurs institutionnels gérant plus de 2,3 billions de dollars d’actifs ont signé la Déclaration des investisseurs canadiens sur la diversité et l’inclusion, un engagement des investisseurs à promouvoir la diversité et l’inclusion au sein de leurs portefeuilles et de leurs institutions, coordonnée par l’AIR. Les signataires de la déclaration, qui comprennent certains des plus grands investisseurs institutionnels du pays, reconnaissent l’existence du racisme systémique et ses impacts sur les communautés noires et autochtones et les personnes de couleur, tout en reconnaissant en outre l’existence d’inégalités et de discrimination fondées sur d’autres facteurs, notamment, mais sans s’y limiter, le sexe, l’orientation sexuelle, l’âge, le handicap, la religion, la culture et le statut socio-économique. L’industrie canadienne de l’investissement a également organisé sa première Semaine de la diversité et de l’inclusion – une semaine de leadership éclairé et de vision pour les professionnels de l’investissement pour promouvoir la diversité et l’inclusion dans leurs portefeuilles et dans leurs organisations comptant plus de 700 participants virtuels.

En octobre également, l’AIR a publié l’édition 2020 de son Sondage d’opinion des investisseurs de l’AIR basé sur un sondage Ipsos auprès de 1000 investisseurs individuels, avec un accent particulier sur l’attitude des investisseurs envers la diversité et l’inclusion dans leurs portefeuilles. Le sondage a révélé que 73 % des répondants souhaiteraient qu’une partie de leur portefeuille soit investie dans des organisations offrant des opportunités pour l’avancement des femmes et des groupes diversifiés, et 72 % souhaitent que leur gestionnaire de fonds s’engage avec les entreprises canadiennes pour encourager une plus grande diversité dans la direction d’entreprise.

L’investissement d’impact pour la justice raciale est également en hausse au Canada. Une coalition de chefs d’entreprise noirs a lancé le Black Opportunity Fund en partenariat avec la Toronto Foundation. Le fonds soutiendra les organisations et les entreprises dirigées par des Noirs à travers le pays. Les investissements du fonds seront de grande envergure, mais particulièrement axés sur l’éducation, les soins de santé, le soutien communautaire et le logement.

Raven Indigenous Capital Partners, le premier intermédiaire de financement social dirigé et détenu par des Autochtones au Canada, a lancé le Raven Indigenous Impact Fund en 2019 pour fournir un capital patient et une expertise technique aux entreprises autochtones en démarrage. Le fonds se concentre sur la réduction de la pauvreté, la résilience communautaire et le développement d’une classe moyenne autochtone.

Des fonds comme ceux-ci joueront un rôle important dans l’élimination du racisme systémique et l’avancement des entreprises dirigées par des Noirs et des Autochtones au Canada.

Il existe également des possibilités d’investir pour la justice raciale sur les marchés publics. Impact Shares a développé un fonds négocié en bourse à but non lucratif appelé NAACP Minority Empowerment ETF. Le fonds suit l’indice Morningstar Minority Empowerment Index, offrant une exposition aux entreprises américaines ayant de solides politiques de diversité raciale et ethnique. En tant qu’organisation à but non lucratif, Impact Shares fait don de tous les bénéfices consultatifs nets provenant des frais de gestion du fonds à la National Association for the Advancement of Colored People, qui offre aux investisseurs une couche supplémentaire d’impact social.

En tant que gestionnaires de capital, les investisseurs peuvent également s’engager avec les entreprises pour promouvoir la diversité et l’inclusion, par exemple, en encourageant les stratégies de D&I et en demandant aux entreprises de signer l’engagement en tant que PDG de BlackNorth.

Conclusion

L’investissement responsable a des racines profondes dans la mobilisation contre le racisme. Depuis le milieu des années 1700, les Quakers ont interdit à leurs membres de posséder des esclaves et ont demandé au Congrès américain d’abolir l’esclavage. Plus récemment, dans les années 1970 et 80, des investisseurs internationaux ont lancé la première campagne de désinvestissement moderne, détournant des capitaux des entreprises sud-africaines pour protester contre leur complicité dans le régime raciste de l’apartheid. Les entreprises sud-africaines ont perdu l’accès aux marchés financiers mondiaux et ont finalement basculé, faisant pression sur le gouvernement pour mettre fin à l’apartheid.

Il est maintenant temps d’agir à nouveau. Les investisseurs et les conseillers ont l’occasion d’aider à mettre fin à des siècles d’injustice raciale en faisant progresser la diversité et l’inclusion dans leurs portefeuilles.

Auteur

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Dustyn Lanz

Chef de la direction
Responsible Investment Association

Dustyn Lanz est chef de la direction de l’Association pour l’investissement responsable (AIR) – une organisation canadienne qui fait la promotion de l’intégration des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans les décisions d’investissement. Il est chroniqueur pour Investment Executive, où il écrit sur des sujets liés à la durabilité et à l’investissement responsable. Dustyn est également membre du 30 % Club, un réseau de cadres qui vise à atteindre un équilibre entre les sexes dans le leadership d’entreprise.