Lorsqu’elle émet son obligation sociale de 10 ans en juin 2020, recueillant 100 millions de dollars dans le cadre de son nouveau Programme de débentures sociales, la Ville de Toronto innove. Le Programme, le premier du genre dans les milieux municipaux canadiens, capte alors l’attention des investisseurs ESG, attirés par l’idée de financer des projets dans des domaines tels que le logement abordable, les infrastructures de base et l’accès aux services essentiels. C’était il y a un an déjà. Le paysage de la finance sociale pourrait maintenant écrire un nouveau chapitre, cette fois grâce au gouvernement fédéral. Le boom des obligations sociales que l’on voit ailleurs dans le monde arrive-t-il au Canada?
Alors que le pays sortait d’une pandémie qui a recadré les priorités de nombreux investisseurs, le gouvernement du Canada a utilisé son budget d’avril 2021 pour annoncer une consultation qui ne manquera pas de se faire remarquer. « Les obligations sociales sont l’occasion d’établir des liens entre les investisseurs socialement conscients et les obligations du gouvernement du Canada qui appuient des objectifs sociaux comme la réduction de l’itinérance et l’amélioration de l’accès à un système d’apprentissage et de garde des jeunes enfants de qualité », a écrit le ministère des Finances dans les documents du budget. Par conséquent, il a proposé « d’examiner la possibilité d’obligations sociales pour compléter le programme actuel de la dette du gouvernement », s’engageant à examiner le sujet « dans les consultations sur la Stratégie de gestion de la dette à l’automne ».
Les obligations sociales ont fait irruption sur la scène comme peu de classes d’actifs l’ont fait dans le passé. Selon une estimation de Linklaters, un cabinet d’avocats britannique, elles ont amassé 163 milliards de dollars dans le monde en 2020, soit dix fois plus qu’en 2019. Cette augmentation s’explique en grande partie par les vastes besoins engendrés par la pandémie de COVID-19 et ses impacts socio-économiques.
Voici quelques exemples :
- LaCommission européenne, principal émetteur jusqu’à présent, a obtenu 17 milliards d’euros en créant une obligation sociale pour son instrument de « Soutien à l’atténuation des risques de chômage en situation d’urgence ». Elle n’est pas passée inaperçue : l’intérêt des investisseurs a été si fort que l’émission a rencontré une demande dépassant les 230 milliards d’euros.
- Le Ghana a annoncé en mai qu’il émettrait jusqu’à 1 milliard de dollars américains sous forme d’obligations sociales et vertes.
- Le Chili a émis une obligation sociale de 20 ans d’une valeur de 1,7 milliard de dollars.
- Depuis mars 2019, la National Housing Finance and Investment Corporation d’Australie a émis environ 1,2 milliard de dollars australiens d’obligations sociales.
À quoi ressemblent les obligations sociales?
Le marché des obligations sociales vise à financer ou à refinancer des « projets sociaux », qui « visent directement à résoudre ou à atténuer un problème social spécifique et/ou cherchent à obtenir des résultats sociaux positifs », a expliqué l’International Capital Market Association dans son édition 2021 des Principes applicables aux obligations sociales (SBP). Le cadre a été conçu pour promouvoir la transparence et l’intégrité des participants au marché. Le SBP fournit essentiellement une liste de besoins sociaux qui peuvent être financés par le produit des obligations tout en indiquant quatre « composantes de base » :
- utilisation du produit ;
- processus d’évaluation et de sélection des projets ;
- gestion du produit ;
- reporting.
De plus, les Principes applicables aux obligations sociales recommandent la nomination d’un examinateur externe pour assurer l’alignement des composants de base et de l’obligation, étape pouvant impliquer l’obtention d’une certification spécifique ou d’une notation. (Le SBP souligne que les obligations qui intègrent des projets sociaux et verts devraient être appelées obligations de durabilité et que celles-ci sont couvertes par un ensemble de principes différent.)
À ce stade de l’article, les lecteurs se posent peut-être des questions sur les prix et les rendements. Comment les obligations sociales se compareraient-elles aux obligations ordinaires si le gouvernement fédéral empruntait cette voie? En l’absence d’antécédents sur le marché canadien, nous croyons que tenter de répondre à cette question pourrait nous amener à spéculer. Cependant, l’investissement dans des titres à revenu fixe fait, en fin de compte, partie d’une stratégie de portefeuille plus large où les écarts de rendement au sein d’autres classes d’actifs peuvent être beaucoup plus importants.
Naviguer dans les définitions
La consultation de l’automne sur les obligations sociales ne sera pas la première fois qu’Ottawa sollicite des commentaires sur la finance sociale. En 2018, un comité directeur a émis 12 recommandations visant à « réaliser tout le potentiel de l’innovation sociale pour relever les défis sociaux et environnementaux les plus pressants du Canada ». Sans mentionner spécifiquement les obligations sociales, le rapport de 2018 a fait allusion aux « obligations à impact social » (SIB). Il s’agit d’un instrument différent, semblable à une obligation, qui lie la structure des paiements à la réalisation de certains résultats.
Comme c’est parfois le cas avec des produits financiers en constante évolution, c’est ici que les choses se compliquent. Il n’y a pas de définitions ou de normes claires, mais les SIB sont généralement considérées comme fondées sur un modèle où les investisseurs fournissent des capitaux d’avance pour un programme ou une initiative sociale. Si le résultat atteint ou dépasse certains objectifs prédéterminés (vérifiés par un tiers) l’émetteur, souvent un gouvernement ou une autre entité publique, rembourse aux investisseurs une somme préétablie.
Selon la Brookings Institution, 194 obligations à impact social ont été émises dans le monde entre 2010 et 2020, ce qui représente un investissement initial de 421 millions de dollars. Les pays ayant créé le plus d’obligations étaient le Royaume-Uni, les États-Unis, les Pays-Bas, le Portugal et l’Australie. Jusqu’à présent, le Canada n’a connu qu’une poignée de SIB, et le capital recueilli est relativement faible par rapport aux montants observés sur le marché plus large des « obligations sociales » dans d’autres régions du monde.
Anticiper le niveau de la demande
Tout cela soulève une question : quelle serait la demande des investisseurs si le gouvernement fédéral allait de l’avant avec les obligations sociales? Le temps le dira. Au cours du seul premier trimestre de 2021, les obligations sociales émises dans le monde ont amassé 90 milliards de dollars américains, selon des données récentes de Moody’s. Quiconque voudrait prédire l’appétit au Canada pourrait se pencher sur l’obligation sociale de l’année dernière émise par la ville de Toronto. Pour l’obligation de 100 millions de dollars, vendue à 99,98 $ pour un rendement sur 10 ans de 1,602 %, la Ville a récemment mentionné que « les manifestations d’intérêt dépassaient les 400 millions de dollars, avec un fort intérêt de la communauté environnementale, sociale et de gouvernance (ESG) ». Dans un monde où la COVID a incité de nombreux investisseurs à explorer des possibilités à thème social, un engouement pourrait être tout aussi probable.