Pourquoi les données sur les changements climatiques sont indispensables à la construction de portefeuilles

6 mai 2021 | Dr. Jean Boivin

Les changements climatiques et les efforts déployés pour en atténuer les effets auront des conséquences économiques majeures non seulement à très long terme, mais aussi d’ici les cinq prochaines années. Pourtant, la plupart des projections économiques ou des prévisions de rendement à long terme ne tiennent aucun compte de ce phénomène. De nombreux investisseurs se fondent sur des scénarios irréalistes pour déterminer la répartition de l’actif.

Comme les changements climatiques sont indéniables, les deux scénarios qu’il faudrait comparer, selon nous, sont d’une part celui d’une transition vers une économie à faibles émissions de carbone et, d’autre part, celui du statu quo, sans mesures d’atténuation des changements climatiques. Cette comparaison est le contre-pied de l’opinion largement répandue selon laquelle la lutte contre les changements climatiques aura un coût net pour l’économie. Au contraire, cette lutte devrait entraîner d’importantes améliorations par rapport au scénario du statu quo.

Notre scénario de base table sur une transition « verte » ordonnée, conforme aux recommandations du FMI, qui comprend des subventions pour l’énergie renouvelable. Sans ces mesures, nous estimons que les dommages physiques et les autres dommages occasionnés par les changements climatiques pourraient se traduire par une perte cumulative mondiale de près de 25 % de la production économique au cours des deux prochaines décennies1. La transition vers un monde plus durable commence à peine, mais elle représente une occasion de placement historique.

Un cadre pour intégrer les changements climatiques

Pourquoi les aspects des changements climatiques sont-ils rarement pris en considération? Parce que c’est très difficile de le faire. Personne ne sait encore à quoi ressemblera un monde à faibles émissions de carbone. De plus, les projections relatives aux changements climatiques sont très incertaines, en raison de la complexité de la modélisation de la dynamique et des nombreux rapports de dépendance entre le climat et les émissions de carbone, les variables économiques et les mesures d’atténuation. Mais la complexité de la modélisation n’est pas une excuse pour écarter d’emblée le dérèglement climatique.

Le BlackRock Investment Institute a récemment mis à jour ses hypothèses relatives aux marchés des capitaux – c’est-à-dire les estimations des rendements à long terme pour les différentes catégories d’actif – afin de tenir compte des effets des changements climatiques. Bien qu’il s’agisse de notre meilleure évaluation, nous reconnaissons qu’elle est pleine d’incertitudes et que nous devrons l’améliorer à mesure que nous en apprendrons davantage. Le cadre que nous utilisons comporte trois volets : les répercussions macroéconomiques des changements climatiques, la réévaluation des actifs en fonction des risques liés au climat, et l’effet sur les paramètres fondamentaux des entreprises.

Examinons chacun d’eux. Premièrement, les variables macroéconomiques seront presque certainement différentes dans un monde en transition vers un avenir durable. Nous constatons des changements dans les primes de risque – c’est-à-dire la rémunération que les investisseurs exigent pour détenir des actifs – dans toutes les catégories d’actif.

Deuxièmement, le prix que les investisseurs sont prêts à payer pour acquérir des actifs durables est aussi en train de changer. Selon un sondage réalisé par BlackRock en septembre 2020, 425 investisseurs institutionnels prévoyaient doubler leur actif durable sous gestion au cours des cinq prochaines années, le faisant passer à 37 %. Nous observons une évolution des préférences des investisseurs qui entraîne une réévaluation des prix causée par les changements climatiques, car le coût du capital pour les actifs durables a diminué. Une fois passée cette phase de réévaluation, nous pensons que les actifs « plus verts » ne seront plus aussi avantageux en ce qui a trait aux rendements prévus.

Enfin, les changements climatiques et les politiques auront des conséquences sur la rentabilité des entreprises dans tous les secteurs de l’économie, qui se répercuteront sur d’autres variables comme les hypothèses relatives aux défaillances de crédit et aux décotes. Pour estimer la rentabilité des entreprises, nous évaluons d’abord la sensibilité de leurs bénéfices au prix du carbone, puis analysons l’impact des risques liés à la transition et des risques physiques ainsi que les occasions.

Nous nous intéressons tout particulièrement aux changements climatiques, parce que le large consensus sur leurs répercussions et leurs mesures nous permet de penser qu’ils sont en train de devenir un facteur déterminant des prix des actifs.

Répercussions sur les placements

Les répercussions sur les placements ne sont pas négligeables. Dans l’ensemble, les actions des marchés développés nous paraissent les plus susceptibles de profiter des occasions liées aux changements climatiques, à l’inverse des obligations à rendement élevé et de certains titres de créance des marchés émergents. Les titres des indices boursiers des marchés développés sont habituellement moins vulnérables aux risques liés à la transition et l’intensité des émissions de carbone de ces entreprises est moins élevée. En outre, les actions sont mieux en mesure de tirer parti d’un potentiel de hausse, contrairement aux obligations, dont l’appréciation du capital est limitée.

Regardons-y de plus près, car l’unité d’analyse des placements la plus pertinente se situe au niveau sectoriel. Chose certaine, il y aura des gagnants et des perdants – voilà pourquoi une approche sectorielle nous semble plus appropriée qu’une approche régionale en matière d’investissement durable. Les secteurs qui profiteront de l’effet des changements climatiques seront probablement les technologies de l’information et les soins de santé, tandis que l’énergie et les services aux collectivités risquent d’être à la traîne. Nous nous attendons à un écart de rendement annualisé d’environ 7 % entre l’énergie et les technologies au cours des cinq prochaines années2. Cet écart est appréciable dans un contexte caractérisé par la faiblesse des rendements prévus dans toutes les catégories d’actif.

Graphique : Écarts de rendement hypothétiques entre les scénarios de transition verte et de statu quo

À titre indicatif seulement. Cette information ne vise pas à fournir des recommandations en matière de placement dans une catégorie d’actif ou une stratégie; elle ne représente pas une promesse ni une estimation de rendements futurs réels. Sources : BlackRock Investment Institute et données de Refinitiv Datastream et de Bloomberg, février 2021. Remarques : Le graphique illustre l’écart entre les rendements prévus en dollars américains au cours des cinq prochaines années dans quatre secteurs de l’indice MSCI États-Unis selon notre scénario de base qui prévoit une transition « verte » (adoption de politiques et de mesures visant à atténuer les dommages occasionnés par le dérèglement climatique et à limiter la hausse de la température à 2 degrés Celsius d’ici 2100) par rapport à notre scénario du statu quo. Les estimations de l’impact sur les secteurs sont basées sur les écarts prévus entre les deux scénarios au chapitre de la croissance économique, des bénéfices de sociétés et des valorisations des actifs. Les investisseurs professionnels peuvent obtenir tous les détails dans notre bulletin Portfolio Perspectives et sur la page des hypothèses relatives aux marchés des capitaux de notre site Web.

Notre cadre à trois volets – répercussions macroéconomiques, réévaluation des prix et paramètres fondamentaux – nous permet de surveiller systématiquement les indicateurs clés à mesure que la transition verte prend forme. Ce n’est qu’un début : nous améliorerons notre cadre avec le temps suivant l’évolution des données et de notre raisonnement. Une chose est sûre cependant : écarter les changements climatiques des prévisions de rendement des actifs, c’est se fermer les yeux devant la réalité. Ces données sont essentielles à l’établissement de projections économiques et de prévisions de rendement et à la construction de portefeuilles.

Sources :

[1] BlackRock Investment Institute

[2] BlackRock Investment Institute

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Auteur

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Dr. Jean Boivin

Directeur général
BlackRock Investment Institute

Jean Boivin, Ph. D., directeur général, est la tête du BlackRock Investment Institute (BII). Le BII tire parti de l’expertise de BlackRock pour produire des documents de recherche exclusifs qui jettent un nouvel éclairage sur l’économie mondiale, les marchés, la situation géopolitique et la répartition de l’actif à long terme dans le but d’aider nos clients et nos gestionnaires de portefeuille à investir sur les marchés financiers. Boivin supervise l’ensemble des activités du BII et veille à ce que le BII intègre les résultats des recherches sur l’établissement de portefeuille, l’économie et les marchés aux perspectives à long terme du portefeuille global dont les clients de BlackRock ont besoin aujourd’hui. Membre du comité de direction EMOA de BlackRock, M. Boivin dirige également la recherche à l’échelle mondiale. Il est responsable de la recherche sur l’économie et les marchés ainsi que de l’élaboration des principes de base et de la propriété intellectuelle qui sous-tendent l’approche de BlackRock en matière de conception de portefeuille, comme les hypothèses relatives aux marchés des capitaux et les outils d’optimisation. Avant son arrivée à BlackRock en 2014, M. Boivin a exercé les fonctions de sous-gouverneur de la Banque du Canada, de sous-ministre délégué des Finances et de représentant du Canada auprès du G7, du G20 et du Conseil de stabilité financière. Il a enseigné à la Columbia Business School et à HEC Montréal, et a publié de nombreux articles sur la macroéconomie, la politique monétaire et les finances. M. Boivin a obtenu un baccalauréat ès sciences en économie (1995) de l’Université de Montréal, ainsi qu’une maîtrise (1997) et un doctorat (2000) en économie de l’Université Princeton.