Diversifier la diversité : Au-delà de la présentation

5 novembre 2020 | Daniel Jarman, Rosa van den Beemt

La question de la diversité a dû évoluer quelque peu. Bien que les investisseurs aient traditionnellement mis l’accent sur l’engagement à l’égard de la diversité en fonction du genre, ce qui est relativement facile à mesurer en raison de la disponibilité des données à ce sujet, les récentes manifestations à l’échelle mondiale contre le racisme ont obligé les entreprises et les investisseurs à revoir leurs priorités en matière de diversité. Le débat public sur le racisme systémique s’ajoute aux dures réalités de la pandémie de COVID-19, qui a eu un effet disproportionné sur les groupes vulnérables, et rappelle aux entreprises qu’elles doivent accorder la priorité aux enjeux de longue date liés à l’inclusion raciale, à la protection des travailleurs, à l’équité salariale, à l’éthique des affaires et aux droits de la personne.

Les attentes des entreprises et les nôtres, à titre de gestionnaires de fonds, ont changé, et la mobilisation des investisseurs à l’égard de la diversité ne peut plus être axée uniquement sur les enjeux liés au genre ou à la représentation : la question de la diversité s’est diversifiée.

Étude de cas

L’évolution constante du marché mondial, des demandes des parties prenantes et des risques liés à la réputation, parallèlement aux recherches plus approfondies sur la valeur ajoutée de la diversité en général, ont fait de la diversité un facteur de différenciation pour les entreprises. Les recherches montrent qu’une diversité à tous les niveaux de l’organisation permet de lutter contre une vision étroite, peut mener à une meilleure détermination des risques et des occasions, favorise l’innovation et est étroitement liée à une meilleure performance.[1] De plus, les entreprises qui s’attaquent de façon proactive aux enjeux de discrimination tendent à avoir une meilleure mobilisation des employés, une culture de travail plus saine, moins de risque lié à la réputation et un meilleur engagement envers leur marque.[2]

Malgré ces preuves, il y a encore du progrès à faire en matière de diversité selon l’avis des investisseurs, et les progrès réalisés en matière de diversité raciale au sein de l’effectif des entreprises, en particulier au niveau des dirigeants, sont nettement plus lents, comparativement à ceux qui ont récemment été accomplis en matière de diversité de genre. Les différents niveaux de données disponibles à l’échelle mondiale sur la diversité représentent un défi pour les investisseurs. C’est ici que la mobilisation entre en jeu. À l’échelle mondiale, notre mobilisation est axée sur :

  • l’élaboration de stratégies au plus haut niveau;
  • l’établissement de cibles et la mesure des progrès;
  • les pratiques d’embauche;
  • l’équité salariale;
  • la mobilisation des employés;
  • la sensibilisation et la formation.

Diversité : différente dans chaque contexte

Nous considérons que la diversité au sein d’une organisation est bénéfique, et ce, peu importe son emplacement géographique.* Compte tenu des contextes réglementaires, des groupes de parties prenantes et des cultures dans lesquels une entreprise exerce ses activités, l’accent mis sur la diversité pour l’une peut ne pas convenir à une autre. Il y a évidemment des priorités propres à la région et au marché dont tous doivent avoir conscience, mais la façon dont elles sont abordées varie et évolue fréquemment. Nous verrons quelques exemples ci-dessous.

Genre

Pour de nombreux investisseurs, la diversité a d’abord été axée sur le genre. Fondé en 2010, le Club des 30 % est un exemple de groupe qui a contribué à instaurer un véritable changement, en particulier au sein des conseils d’administration à l’échelle mondiale.

Le contexte culturel local est essentiel. Au Japon, où les progrès sur le plan de la diversité des genres dans les postes de direction ont été lents, les femmes ne bénéficiaient pas par le passé de soutien alors qu’elles devaient prendre soin de leurs enfants, et la culture des longues heures de travail a nui à leurs occasions de faire progresser leur carrière. Toutefois, grâce à notre engagement à l’égard de la diversité au Japon, nous avons été en mesure de repérer de bonnes pratiques. Par exemple, afin de promouvoir la diversité, Japan Exchange Group (JPX) a reconnu qu’il doit réformer la façon dont il perçoit le travail, offrir davantage de souplesse et être conscient de la productivité que peuvent apporter différents styles de travail. Il a mis en œuvre plusieurs initiatives, notamment des projets de soutien de la prestation de soins aux enfants et de la formation professionnelle qui visent expressément à soutenir les femmes tout le long de leur cheminement de carrière.

Ethnicité, race et indigénéité

Le visage de la diversité ethnique varie d’une région à l’autre. Idéalement, l’effectif et la direction d’une entreprise reflètent la composition de la société dans laquelle elle exerce ses activités. Encore une fois, il est essentiel de comprendre le contexte : quels sont les groupes régionaux sous-représentés et comment la discrimination du passé se manifeste-t-elle encore aujourd’hui? Aux États-Unis, seulement 3,2 % des dirigeants et des cadres supérieurs sont noirs, alors que les Noirs représentent 13,4 % de la population américaine. Au Canada, où les Autochtones représentent près de 5 % de la population, ils représentent bien moins de 1 % des cadres supérieurs et des membres de conseil d’administration. Ces données indiquent qu’il existe des obstacles structurels à l’avancement.

La mobilisation des investisseurs à l’égard de la diversité raciale n’est pas aussi bien établie que leur mobilisation à l’égard de la diversité des genres. Cependant, elle évolue à un rythme accéléré. Plusieurs gestionnaires de fonds ont annoncé publiquement des cadres de mobilisation concernant la diversité raciale au sein des conseils d’administration aux États-Unis. La coalition américaine Racial Justice Investing (RJI) a récemment publié une déclaration dans laquelle les investisseurs s’engagent à intégrer la justice raciale à la prise de décisions en matière de placement et aux stratégies de gérance.[3] Au Canada, l’Association pour l’investissement responsable (AIR) a récemment publié une déclaration des investisseurs sur la diversité et l’inclusion qui demande aux sociétés émettrices de renforcer les efforts en matière de diversité et d’inclusion des groupes sous-représentés, y compris les Noirs, les personnes de couleur et les Autochtones, ce qui représente une autre avancée importante.

Dans le cadre de nos entretiens sur la diversité raciale avec des employés d’entreprises nord-américaines cette année, nous sommes encouragés d’apprendre que les conseils d’administration ressentent déjà la pression des investisseurs et accordent la priorité à la recherche de candidats issus de la diversité pour les postes d’administrateurs.

Expérience et parcours

Les entreprises qui exercent leurs activités à l’échelle mondiale bénéficient d’administrateurs et de leaders chevronnés ayant des parcours et des expériences qui reflètent la clientèle et les employés de la région. Nous considérons qu’il s’agit d’un problème particulier au Japon et en Corée, où une organisation peut avoir une importante présence opérationnelle à l’échelle mondiale qui n’est représentée d’aucune façon au sein du conseil d’administration.

Le contexte environnemental, social et de gouvernance (ESG) est également essentiel : pour que les entreprises soient prêtes à faire face aux risques et aux occasions liés aux facteurs ESG, qui sont de plus en plus complexes, il peut être particulièrement avantageux d’avoir des membres de la haute direction et du conseil d’administration possédant une expertise liée à ces facteurs. Par exemple, le nombre d’administrateurs recherchés pour leur expertise en cybersécurité s’est accru au cours des dernières années.[4] Nous avons également constaté (et préconisé) une augmentation du nombre d’administrateurs ayant une expertise en matière de changements climatiques, en particulier pour les entreprises qui exercent leurs activités dans des secteurs qui représentent un risque important. Enfin, la pandémie de COVID-19 a mis en lumière la nécessité de protéger les travailleurs et de gérer les risques liés à la gestion du capital humain. Il n’est donc pas surprenant que davantage de décideurs et d’investisseurs tiennent compte des avantages de la représentation des employés au sein des conseils d’administration.

Sur quels types de diversité les investisseurs devraient-ils se concentrer?

Les questions suivantes peuvent aider les investisseurs à déterminer les types de diversité à encourager au sein des conseils d’administration, de la haute direction et d’autres niveaux de l’organisation :

  • Dans quel contexte culturel ou socioéconomique une entreprise exerce-t-elle ses activités et comment les enjeux connexes sont-ils abordés?
  • Où l’entreprise exerce-t-elle ses activités et où se trouve sa clientèle d’un point de vue géographique? Cela se reflète-t-il dans son effectif et sa direction?
  • L’effectif et la direction de l’entreprise reflètent-ils la diversité de la société de la région où elle exerce ses activités?
  • Y a-t-il des défis importants propres au secteur et liés aux facteurs ESG qu’un mélange précis de talents issus de la diversité pourrait mieux aider à relever?
  • Comment l’entreprise rend-elle compte de son rendement en matière de diversité à l’échelle de l’effectif ainsi que des efforts qu’elle déploie en matière de diversité et d’inclusion?

Au-delà de la représentation

Nous remarquons que le permis social d’exploitation d’une entreprise pourrait être menacé si elle ne répond pas aux attentes de ses parties prenantes, ce qui peut inclure des attentes en matière de diversité au sein de l’organisation. Toutefois, les efforts en matière de diversité et d’inclusion ne représentent qu’une partie de la voie à suivre afin de résoudre les inégalités systémiques. En plus d’aborder les problèmes de représentation au sein de l’effectif et des cadres supérieurs, les entreprises doivent réformer les modèles d’affaires et les mesures qui sont fondés sur le maintien de l’iniquité. Cela va des sociétés qui profitent de la main-d’œuvre carcérale aux logiciels de surveillance fondés sur des préjugés raciaux, en passant par les stratégies de marketing qui ciblent les collectivités vulnérables. La mobilisation des investisseurs peut inciter les entreprises à respecter les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies afin de consolider leur permis social d’exploitation et qu’elles soient mieux préparées à faire face aux iniquités sociales et aux problèmes connexes, comme les violations des droits de la personne, les droits des Autochtones ainsi que l’amélioration des salaires de subsistance et de la protection des travailleurs.

Principaux points à retenir

  • La diversification de la mobilisation des investisseurs à l’égard de la diversité est essentielle pour comprendre les risques et les occasions auxquels font face les entreprises ainsi que pour répondre aux attentes globales de la société et des clients.
  • Afin d’évaluer la diversité d’une entreprise et de ses dirigeants, il faut comprendre les contextes culturel, régional, historique et ESG.
  • Pour aborder les questions d’égalité, nous devons aller au-delà de la diversité et de l’inclusion et nous pencher sur les modèles d’affaires qui profitent du maintien des iniquités.

Lectures complémentaires

Sources:

[1] McKinsey & Company: Delivering Through Diversity

[2] https://www.weforum.org/agenda/2020/07/racism-bad-for-business-equality-diversity/

[3] https://www.racialjusticeinvesting.org/our-statement

[4] https://www.forbes.com/sites/chenxiwang/2019/08/30/corporate-boards-are-snatching-up-cybersecurity-talents/#47b755e3479f

Remarques:
*Nous considérons que la diversité est notamment le genre, l’origine ethnique ou la race, le statut d’Autochtone, l’orientation sexuelle, l’âge, le handicap, le milieu, l’expérience, la religion, la culture et le statut socioéconomique.

Clause de non-responsabilité de l’AIR
Les points de vue et opinions exprimés dans cet article n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue ou la position de l’Association pour l’investissement responsable (AIR). L’AIR n’approuve, ne recommande ni ne garantit aucune des revendications formulées par les auteurs. Cet article est conçu comme une information générale et non comme un conseil en investissement. Nous vous recommandons de consulter un conseiller qualifié ou un professionnel en investissement avant de prendre une décision de placement ou liée à un investissement.

Auteur

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Daniel Jarman

Vice-président, investissement responsable
BMO Global Asset Management

Daniel Jarman est vice-président de l’équipe d’IR, se concentrant sur la gouvernance d’entreprise, en particulier au Royaume-Uni. Il était auparavant chez ISS, fournisseur de services de vote, qu’il a rejoint en 2006 après deux ans chez Manifest. Daniel est devenu ISS’s Head of UK Governance Research en 2009, responsable de la publication des rapports et des recommandations de vote sur les sociétés cotées au Royaume-Uni. Il a ensuite dirigé l’équipe de recherche personnalisée, fournissant des services d’élaboration de politiques ESG et d’application aux investisseurs institutionnels britanniques. Daniel a également été membre du Global Policy Board pour ISS et a été l’officier de liaison de la conformité du bureau de Londres et codirecteur du bureau de Londres. Daniel est un conférencier régulier sur les questions de gouvernance dans le monde.

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Rosa van den Beemt

Directrice générale, Responsabilité de gérance, Investissement responsable
BMO Global Asset Management

Rosa van den Beemt est responsable de l’approche de la gérance au sein de BMO Gestion mondiale d’actifs. Elle s’occupe de la mobilisation des sociétés émettrices, du vote par procuration, de la défense des politiques publiques sur les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) afin de créer des changements positifs au long terme pour ses clients. Elle représente BMO Gestion mondial d’actifs dans divers organismes et comités du secteur, tels que le Conseil consultatif de l’Alliance canadienne des investisseurs pour les droits de la personne, le Comité environnemental et social de la Coalition canadienne pour une bonne gouvernance, le Comité directeur d’Engagement climatique Canada et le conseil de direction de l’Association pour l’investissement responsable. Avant de se joindre à BMO Gestion mondiale d’actifs, Rosa travaillait chez Placements NEI où elle a dirigé le programme de vote par procuration ainsi que diverses initiatives de mobilisation d’entreprises. Après avoir travaillé dix ans dans le secteur de l’investissement responsable, elle possède une vaste expérience de la gouvernance d’entreprise en Amérique du Nord, des droits de la personne et des activités de placement, ainsi que de la mobilisation des membres de la direction et du conseil d’administration par rapport aux facteurs ESG. Elle est titulaire d’un baccalauréat ès science politique et d’une maîtrise ès sciences en études du développement international de l’Université d’Amsterdam.