Le « H » dans ESG : Explorer le capital humain et la transition juste du Canada

26 mai 2022 | Mariel Langlois

Que faut-il pour passer à une économie à faible émission de carbone? Au-delà des technologies complexes, des changements d’infrastructure importants et de la modélisation sophistiquée, un élément fondamental sera déterminant pour notre réussite collective : nous devons nous rappeler que les êtres humains seront derrière tout cela et qu’ils en subiront les conséquences. Les gouvernements et les dirigeants des pays du monde entier l’ont déjà reconnu publiquement, en introduisant le terme « transition juste » dans l’Accord de Paris de 2015. Le traité international juridiquement contraignant sur le changement climatique invite ses signataires à prendre en compte les « impératifs d’une transition juste pour la population active et de la création d’emplois décents et de qualité conformément aux priorités de développement définies au niveau national », tout en s’efforçant de limiter le réchauffement de la planète en deçà de 2 degrés Celsius par rapport aux niveaux préindustriels. 

En 2021, le gouvernement canadien a publié un document de travail, Transition équitable axée sur l’humain, ainsi qu’une déclaration expliquant que la transition juste consiste :

  • « à préparer la main-d’œuvre à participer pleinement à une économie sobre en carbone tout en réduisant au maximum les conséquences découlant de la transition du marché du travail ;
  • à recenser et à soutenir les possibilités économiques inclusives qui appuieront les travailleurs et leurs collectivités ;
  • à faire en sorte que les travailleurs et leurs communautés soient au centre des discussions qui ont une incidence sur leur qualité de vie. »

Il suffit de dire que, bien que la transition vers une économie à faible émission de carbone soit une question environnementale à la base, ses implications sociales sont importantes. L’élément humain, le « H » dans ESG, est inextricablement lié à la transition, et les investisseurs en ont pris note. Les marchés financiers se sont attachés à mieux comprendre la responsabilité sociale des organisations dans le contexte de la transition, la communauté des investisseurs reconnaissant publiquement la matérialité financière de la gestion du capital humain.

Questions sociales

La pandémie de COVID-19 a également contribué à mettre en lumière l’importance de cette question. Au cours des deux dernières années, nos systèmes publics et nos économies ont été ébranlés, et les inégalités de revenus ont augmenté. Les entreprises ont dû modifier leur mode de fonctionnement ; les niveaux de détresse mentale et physique des équipes ont augmenté, et les démissions d’employés aussi. 

Cette croissance de l’attrition des employés, associée à une concurrence accrue pour les talents, est devenue un sujet ESG clé pour de nombreuses organisations. Dans la nouvelle Étude semestrielle sur le sentiment ESG des investisseurs institutionnels canadiens de Millani, un gestionnaire d’actifs a partagé : « Chaque industrie est confrontée à une pénurie de capital humain. Les entreprises doivent désormais faire un effort supplémentaire pour attirer, retenir et former leurs employés ou adopter une approche différente pour attirer les employés et les garder. Un changement de mentalité est nécessaire. » Par exemple, la Banque Royale du Canada a augmenté ses effectifs d’environ 2 % l’année dernière, mais le coût total des ressources humaines a augmenté de 8,4 %, ce qui montre bien les implications financières de ce sujet.Ces problèmes liés au « S » peuvent également avoir des répercussions au niveau macro. En mars 2022, certains employés de la compagnie CP Rail se sont mis en grève à la suite de tensions croissantes liées à la rémunération, à un moment où des produits de base comme les engrais devaient être expédiés pour le début de la saison des semailles, et où les aliments pour le bétail devaient être envoyés dans les régions touchées par la récente sécheresse. Combiné aux pressions inflationnistes existantes sur les prix et aux interruptions de la chaîne d’approvisionnement, ce type de situation pourrait potentiellement engendrer de graves répercussions sur le fonctionnement des exploitations agricoles à l’échelle nationale. Elle pourrait également contribuer à accroître l’agitation sociale et l’inégalité des revenus, ce qui va à l’encontre de l’éthique même d’une transition juste et entraîne des conséquences à court et moyen terme pour notre économie, et donc pour les investisseurs. 

La culture d’entreprise est un autre thème connexe, de plus en plus perçu comme un élément clé de la croissance et de la protection de la valeur de l’entreprise. Les investisseurs savent qu’une culture d’entreprise solide contribue à instaurer la confiance et à réduire les risques ; toutefois, si elle est mal gérée, elle peut aussi être préjudiciable. Rio Tinto s’est penché en profondeur sur ce sujet dans son Report into Workplace Culture publié en février 2022, une reconnaissance officielle des problèmes de culture qui imprègnent certaines parties de l’organisation. Le rapport divulgue les résultats d’une évaluation indépendante qui a révélé des signes de comportements racistes, sexistes et autres comportements inappropriés, et fournit le cadre mis en place pour remédier à ces problèmes. Il rappelle que le maintien d’environnements de travail sains et sûrs peut avoir une incidence sur la capacité à attirer et à retenir les employés, ce qui n’est pas seulement un sujet clé pour les émetteurs et les investisseurs, mais fait également partie du soutien à une transition juste. 

Divulgations sur les questions « S »

Le travail de Millani avec les sociétés émettrices et les investisseurs a permis de constater un besoin croissant d’informations sur les sujets sociaux et leur importance financière. Au fur et à mesure que nous entreprenons la transition, nous nous attendons à voir une augmentation de la normalisation des indicateurs liés aux employés dans les cadres de rapports ESG, les régulateurs et les organismes de normalisation intégrant déjà les sujets sociaux dans les exigences de divulgation des entreprises et des investisseurs. 

Il convient de noter que la Fondation des normes internationales d’information financière (IFRS) intégrera l’approche de développement de normes basées sur l’industrie du Sustainability Accounting Standards Board (SASB) dans les normes de l’International Sustainability Standards Board (ISSB), ce qui inclura le capital humain. Actuellement, la SASB aborde trois questions liées à la gestion du capital humain dans ses normes : la santé et la sécurité des employés ; la diversité, l’inclusion et l’engagement ; et les pratiques de travail. Un projet de consultation est en cours pour évaluer la portée et la prévalence de divers thèmes liés à la gestion du capital humain, à savoir la composition, les coûts et le roulement de la main-d’œuvre. 

Ce désir de divulgation sociale se développe également aux États-Unis. La Securities and Exchange Commission (SEC) a déjà publié des exigences de divulgation liées au capital humain, et nous nous attendons à un examen approfondi de ces sujets à court terme. En mars 2021, lors d’une allocution prononcée devant le Center for American Progress, Allison Herren Lee, ancienne présidente par intérim de la SEC, a évoqué l’augmentation de la demande des investisseurs en matière d’information sur des sujets tels que le capital humain. Elle a réitéré ce point lors du sommet des investisseurs 2022 de la Shareholder Association for Research and Education (SHARE), où elle a discuté de la qualité des divulgations pour les sujets liés au capital humain et du désir de divulgations plus robustes. 

En fin de compte, la transition vers une économie à faible émission de carbone sera importante et la prise en compte de l’élément humain dans cette transition sera cruciale. Les attentes à l’égard des équipes qui gèrent, suivent et élaborent des données de qualité sur ce sujet vont probablement continuer de croître. Les entreprises doivent également être prêtes à divulguer et à s’engager sur leurs risques et opportunités ESG liés à des sujets sociaux. Alors que le marché s’efforce d’assurer une transition juste, nous pensons que les questions sociales resteront au premier plan des thèmes d’engagement des investisseurs à l’avenir.


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Auteur

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Mariel Langlois

Consultante ESG
Millani Inc.

Mariel compte plus de 5 ans d'expérience en conseil stratégique, relations clients et marketing. Elle a rejoint Millani au début de l'année 2021 en tant que Consultante ESG et s'attache à aider ses clients à identifier, comprendre et divulguer leurs principales questions environnementales, sociales et de gouvernance. Dans le cadre de son rôle chez Millani, elle a également été membre du groupe de travail qui a lancé Engagement climatique Canada, une initiative d'engagement menée par la communauté financière canadienne et axée sur la promotion d'une transition juste vers une économie à zero émission nette. Avant de rejoindre Millani, elle a fourni un soutien stratégique à des entreprises dans les secteurs de l'impact social et de la durabilité, travaillant avec des clients basés en Afrique du Sud, en France, au Royaume-Uni et au Canada. Elle a également accompagné de nombreux clients du Fortune 500 dans le développement stratégique et le lancement de leurs campagnes marketing pancanadiennes. Mariel a contribué au lancement du premier chapitre Net Impact pour les professionnels à Montréal et a présidé le chapitre Net Impact McGill pendant son MBA.  Mariel est titulaire d'un baccalauréat en marketing et en commerce international de l'Université Concordia et d'un MBA de l'Université McGill.